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Dimanche 14 avril 2024

PREMIÈRE APOLOGIE DE SAINT JUSTIN

La célébration de l’Eucharistie.

Le philosophe, Justin, membre de la communauté de Rome — où il fut martyrisé en 165 — est pour nous le premier témoin de l’Eucharistie de cette communauté.

Personne ne doit prendre part à l’Eucharistie, sinon celui qui croit à la vérité de notre doctrine, qui a été baptisé pour obtenir le pardon des péchés et la nouvelle naissance, et qui vit selon l’enseignement que le Christ nous a transmis.
Car nous ne prenons pas l’Eucharistie comme un pain ordinaire ou une boisson ordinaire. De même que Jésus Christ notre Sauveur, en s’incarnant par la Parole de Dieu, a pris chair et sang pour notre salut : ainsi l’aliment devenu eucharistie par la prière contenant sa parole, et qui nourrit notre sang et notre chair en les transformant, cet aliment est la chair et le sang de ce Jésus qui s’est incarné. Voilà ce qui nous est enseigné.
En effet, les Apôtres, dans leurs mémoires qu’on appelle Évangiles, nous ont ainsi transmis l’ordre de Jésus : Il prit du pain, il rendit grâce et il dit : Faites cela en mémoire de moi. Ceci est mon corps. Il prit la coupe de la même façon, il rendit grâce et il dit : Ceci est mon sang. Et c’est à eux seuls qu’il le distribua. Depuis ce temps, nous n’avons jamais cessé d’en renouveler la mémoire entre nous.
Parmi nous, ceux qui ont de quoi vivre viennent en aide à tous ceux qui sont dans le besoin, et nous sommes toujours unis entre nous. Dans toutes nos offrandes, nous bénissons le créateur de l’univers par son Fils Jésus Christ et par l’Esprit Saint.
Le jour appelé jour du soleil, tous, qu’ils habitent la ville ou la campagne, ont leur réunion dans un même lieu et on lit les mémoires des Apôtres et les écrits des prophètes aussi longtemps qu’il est possible.
Quand le lecteur a fini, celui qui préside fait un discours pour nous avertir et pour nous exhorter à mettre en pratique ces beaux enseignements.
Ensuite nous nous levons tous et nous faisons ensemble des prières. Puis, lorsque nous avons fini de prier, ainsi que je l’ai déjà dit, on apporte le pain avec le vin et l’eau. Celui qui préside fait monter au ciel des prières et des actions de grâce, autant qu’il en est capable, et le peuple acclame en disant : Amen. Puis on distribue et on partage à chacun les dons sur lesquels a été prononcée l’action de grâce ; ces dons sont envoyés aux absents par le ministère des diacres.
Les fidèles, qui sont dans l’aisance et qui veulent donner, donnent librement, chacun ce qu’il veut ; ce qu’on recueille est remis à celui qui préside et c’est lui qui vient en aide aux orphelins et aux veuves, à ceux qui sont dans le besoin par suite de maladie ou pour toute autre cause, aux prisonniers, aux voyageurs, aux étrangers ; bref, il vient en aide à tous les malheureux.
C’est le jour du soleil que nous faisons tous notre réunion, d’abord parce que c’est le premier jour, celui où Dieu, à partir des ténèbres et de la matière, créa le monde ; et c’est parce que ce jour-là est encore celui où Jésus Christ, notre Sauveur, ressuscita d’entre les morts. La veille du jour de Saturne (du samedi), on l’avait crucifié, et le surlendemain, c’est-à-dire le jour du soleil, s’étant montré à ses Apôtres et à ses disciples, il leur enseigna ce que nous avons exposé.

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HOMÉLIE DE SAINT GRÉGOIRE LE GRAND

« Mes brebis écoutent ma voix, et moi je leur donne la vie éternelle »

Moi, je suis le bon Pasteur. Et je connais mes brebis (c’est-à-dire je les aime), et mes brebis me connaissent. C’est comme s’il disait clairement : Ceux qui m’aiment m’obéissent, car celui qui n’aime pas la vérité, maintenant même ne la connaît pas du tout.
Puisque vous avez entendu, frères très chers, le péril qui nous menace, nous les pasteurs, évaluez, grâce aux paroles du Seigneur, le péril qui est le vôtre. Voyez si vous êtes ses brebis, voyez si vous le connaissez, voyez si vous percevez la lumière de la vérité. Je parle de percevoir, non par la foi, mais par l’amour. Je parle de percevoir, non par la croyance, mais par l’action. Car saint Jean, qui parle dans notre évangile, atteste cela lorsqu’il dit ailleurs : Celui qui prétend connaître Dieu, et qui ne garde pas ses commandements, est un menteur.
C’est pourquoi, dans notre passage, le Seigneur ajoute aussitôt : Comme le Père me connaît, moi je connais le Père, et je donne ma vie pour mes brebis. C’est comme s’il disait clairement : Ce qui prouve que je connais le Père et que je suis connu de lui, c’est que je donne ma vie pour mes brebis : c’est-à-dire : je montre combien j’aime le Père par l’amour qui me fait mourir pour mes brebis. ~
Au sujet des brebis, il dit encore : Mes brebis entendent ma voix, et moi je les connais, elles me suivent, et je leur donne la vie éternelle. Et un peu plus haut il avait dit à leur sujet : Si quelqu’un entre en passant par moi, il sera sauvé il pourra entrer et sortir, et il trouvera un pâturage. Il entrera pour avoir la foi il sortira en passant de la foi à la vision, de la croyance à la contemplation, et il trouvera un pâturage en arrivant au festin éternel.
Les brebis du bon Pasteur trouvent donc un pâturage parce que tout homme qui le suit avec un cœur simple est nourri dans la pâture des prairies intérieures. Et quel est le pâturage de ces brebis-là, sinon les joies éternelles d’un paradis toujours vert ? Car le pâturage des élus, c’est le visage de Dieu, toujours présent : puisqu’on le regarde sans interruption, l’âme se rassasie sans fin de l’aliment de vie. ~
Recherchons donc, frères très chers, ce pâturage où nous trouverons notre joie au cœur de la fête célébrée par tant de nos concitoyens. Que leur allégresse nous y invite.
Réchauffons nos cœurs, mes frères, que notre foi se ranime envers ce qu’elle croit, que nos désirs s’enflamment pour les biens célestes : c’est déjà partir à leur rencontre que de les aimer.
Aucun obstacle ne doit nous enlever la joie de la solennité intérieure, car si l’on désire se rendre à un endroit qu’on s’est fixé, aucune difficulté ne peut changer ce désir. Aucune prospérité flatteuse ne doit nous en détourner ; il est fou, le voyageur qui, apercevant sur sa route de gracieuses prairies, oublie le but de son voyage.


Dimanche 7 avril 2024

Merveilleuse incrédulité de Thomas

Croyez-vous que c’est par hasard que Thomas, ce disciple choisi, ait été absent, ait appris en arrivant ensuite ce qui s’est passé, en l’apprenant ait douté, en doutant ait touché, en touchant ait cru ? Non, ce n’est pas par hasard, mais par un dessein divin que cela s’est passé. La clémence divine a fait d’une façon merveilleuse qu’en touchant sur son maître les blessures du corps, le disciple qui doutait guérisse en nous les blessures de l’incrédulité. Plus que la foi des disciples qui ont cru, l’incrédulité de Thomas a été profitable à notre foi !

Thomas a vu et palpé. Pourquoi Jésus lui dit-il : « Parce que tu m’as vu, tu crois » ? Mais autre est ce qu’il a vu, autre ce qu’il a cru. En effet, la divinité n’a pas pu être vue par un homme mortel. Donc, il a vu l’homme et il a confessé Dieu en disant : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » C’est en voyant qu’il a cru, c’est en considérant l’homme véritable qu’il a proclamé ce Dieu qu’il ne pouvait voir.

St Grégoire le Grand († 604), docteur de l’Église, fut préfet de Rome, moine et fondateur, diacre, légat, puis pape de 590 à 604. / Homélies sur l’Évangile, 26, 7, trad. R. Étaix, G. Blanc, B. Judic, Paris, Cerf, 2008, Sources Chrétiennes 522, p. 149-151.

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Annonce, mon âme, la miséricorde de Dieu !

Montre-moi, mon Dieu, Ta miséricorde, Selon la pitié du Cœur de Jésus. Entends mes soupirs et mes prières, Et les larmes d’un cœur contrit. Ô Dieu tout-puissant, toujours miséricordieux,

Ta pitié n’est jamais épuisée, Bien que ma misère ait l’immensité de la mer, J’ai une absolue confiance en la miséricorde du Seigneur.

Ô Trinité éternelle, Dieu de bonté à jamais, Ta pitié n’est jamais calculée, J’ai donc confiance en l’océan de Ta miséricorde Et je Te perçois, Seigneur, bien qu’un voile m’isole.

Que la toute-puissance de Ta miséricorde, ô Seigneur, Soit glorifiée par le monde entier, Que Sa gloire ne cesse à jamais, Annonce, mon âme, avec ardeur la miséricorde de Dieu.

Sainte Faustine Kowalska (1905-1938), religieuse

Petit journal, § 1298 (Petit journal, la Miséricorde divine dans mon âme ; trad. Apostolat de la Miséricorde divine ; Parole et Dialogue, 2002, p. 437 ; rev.)


Dimanche 31 mars 2024

SERMON DE SAINT AUGUSTIN SUR LA PASSION DU SEIGNEUR

Il nous donnera sa vie, puisqu’il nous a déjà donné sa mort.

La passion de notre Seigneur et Sauveur Jésus Christ nous garantit la gloire et nous enseigne la patience.
Les cœurs des croyants peuvent tout attendre de la grâce de Dieu, car pour eux le Fils unique de Dieu, coéternel au Père, n’a pas jugé suffisant d’être un homme en naissant des hommes, mais il est allé jusqu’à mourir par la main des hommes qu’il a créés.
Ce que Dieu nous promet pour l’avenir est grand ; mais bien plus grand ce que nous commémorons comme réalisé dans le passé. Où étaient-ils, quels hommes étaient-ils, ces croyants, quand le Christ est mort pour des coupables ? On ne peut douter qu’il leur donnera sa vie, puisqu’il leur a déjà donné sa mort. Pourquoi la faiblesse humaine hésite-t-elle à croire ce qui arrivera un jour : que les hommes puissent vivre avec Dieu ?
Ce qui s’est déjà réalisé est encore beaucoup plus incroyable : Dieu est mort pour les hommes.
Car le Christ est ce Verbe qui était au commencement, ce Verbe qui était avec Dieu, ce Verbe qui était Dieu. Et ce Verbe de Dieu s’est fait chair, et il a établi sa demeure parmi nous. Car il n’aurait pas eu en lui-même de quoi mourir pour nous, sans cette chair mortelle qu’il a tirée de nous. C’est ainsi que l’être immortel a pu mourir, c’est ainsi qu’il a voulu donner la vie aux mortels : il devait dans l’avenir les faire participer à ce qu’il est, après avoir d’abord participé lui-même à ce qu’ils sont. Car nous n’avions pas en nous de quoi vivre, et il n’avait pas en lui de quoi mourir. Il a donc établi avec nous un merveilleux échange de participation réciproque. Ce qui vient de nous, c’est par cela qu’il est mort ; ce qui vient de lui, c’est par cela que nous vivrons.
Par conséquent, nous ne devons pas rougir de la mort de notre Seigneur ; bien au contraire, nous devons y mettre toute notre confiance et y trouver toute notre gloire. Du fait même qu’il recevait de nous la mort qu’il trouvait en nous, il nous a promis, dans sa grande fidélité, de nous donner en lui la vie que nous ne pouvons pas tenir de nous.
Il nous a tellement aimés qu’il a souffert pour les pécheurs, lui qui est sans péché, ce que nous avons mérité par le péché ; comment alors ne nous donnera-t-il pas ce qu’il donne aux justes, lui qui justifie ? Comment lui, dont la promesse est vérité, ne nous rendra-t-il pas en échange les récompenses des saints, lui qui, sans crime, a subi le châtiment des criminels ?
C’est pourquoi, mes frères, confessons hardiment et même professons que le Christ a été crucifié pour nous ; proclamons-le sans crainte, mais avec joie ; sans honte, mais avec fierté.
L’Apôtre Paul a vu là un titre de gloire qu’il nous a recommandé. Il pouvait rappeler, au sujet du Christ, beaucoup de grandeurs divines ; cependant il affirme ne pas se glorifier des merveilles du Christ, par exemple qu’étant Dieu auprès du Père, il a créé le monde ; qu’étant homme comme nous, il a commandé au monde. Mais il dit : Je ne veux me glorifier que de la croix de notre Seigneur Jésus Christ.

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HOMÉLIE ANCIENNE POUR LE GRAND ET SAINT SAMEDI

« Éveille-toi, ô toi qui dors »

Que se passe-t-il ? Aujourd’hui, grand silence sur la terre ; grand silence et ensuite solitude parce que le Roi sommeille. La terre a tremblé et elle s’est apaisée, parce que Dieu s’est endormi dans la chair et il a éveillé ceux qui dorment depuis les origines. Dieu est mort dans la chair et le séjour des morts s’est mis à trembler.
C’est le premier homme qu’il va chercher, comme la brebis perdue. Il veut aussi visiter ceux qui demeurent dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort. Oui. c’est vers Adam captif, en même temps que vers Ève, captive elle aussi, que Dieu se dirige, et son Fils avec lui, pour les délivrer de leurs douleurs.
Le Seigneur s’est avancé vers eux, muni de la croix, l’arme de sa victoire. Lorsqu’il le vit, Adam, le premier homme, se frappant la poitrine dans sa stupeur, s’écria vers tous les autres : « Mon Seigneur avec nous tous ! » Et le Christ répondit à Adam: « Et avec ton esprit ». Il le prend par la main et le relève en disant : Éveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera.
« C’est moi ton Dieu, qui, pour toi, suis devenu ton fils ; c’est moi qui, pour toi et pour tes descendants, te parle maintenant et qui, par ma puissance, ordonne à ceux qui sont dans les chaînes : Sortez. À ceux qui sont dans les ténèbres : Soyez illuminés. À ceux qui sont endormis : Relevez-vous.
« Je te l’ordonne : Éveille-toi, ô toi qui dors, je ne t’ai pas créé pour que tu demeures captif du séjour des morts. Relève-toi d’entre les morts : moi, je suis la vie des morts. Lève-toi, œuvre de mes mains ; lève-toi, mon semblable qui as été créé à mon image. Éveille-toi, sortons d’ici. Car tu es en moi, et moi en toi, nous sommes une seule personne indivisible.
« C’est pour toi que moi, ton Dieu, je suis devenu ton fils ; c’est pour toi que moi, le Maître, j’ai pris ta forme d’esclave ; c’est pour toi que moi, qui domine les cieux, je suis venu sur la terre et au-dessous de la terre ; c’est pour toi, l’homme, que je suis devenu comme un homme abandonné, libre entre les morts ; c’est pour toi, qui es sorti du jardin, que j’ai été livré aux Juifs dans un jardin et que j’ai été crucifié dans un jardin.
« Vois les crachats sur mon visage ; c’est pour toi que je les ai subis afin de te ramener à ton premier souffle de vie. Vois les soufflets sur mes joues : je les ai subis pour rétablir ta forme défigurée afin de la restaurer à mon image.
« Vois la flagellation sur mon dos, que j’ai subie pour éloigner le fardeau de tes péchés qui pesait sur ton dos. Vois mes mains solidement clouées au bois, à cause de toi qui as péché en tendant la main vers le bois.
« Je me suis endormi sur la croix, et la lance a pénétré dans mon côté, à cause de toi qui t’es endormi dans le paradis et, de ton côté, tu as donné naissance à Ève. Mon côté a guéri la douleur de ton côté ; mon sommeil va te tirer du sommeil des enfers. Ma lance a arrêté la lance qui se tournait vers toi.
« Lève-toi, partons d’ici. L’ennemi t’a fait sortir de la terre du paradis ; moi je ne t’installerai plus dans le paradis, mais sur un trône céleste. Je t’ai écarté de l’arbre symbolique de la vie ; mais voici que moi, qui suis la vie, je ne fais qu’un avec toi. J’ai posté les chérubins pour qu’ils te gardent comme un serviteur ; je fais maintenant que les chérubins t’adorent comme un Dieu.
« Le trône des chérubins est préparé, les porteurs sont alertés, le lit nuptial est dressé, les aliments sont apprêtés, les tentes et les demeures éternelles le sont aussi. Les trésors du bonheur sont ouverts et le royaume des cieux est prêt de toute éternité. »


Dimanche 24 mars 2024

DIMANCHE DES RAMEAUX

Gloire au Christ vainqueur de la mort

Venez, gravissons ensemble le mont des Oliviers ; allons à la rencontre du Christ. Il revient aujourd’hui de Béthanie et il s’avance de son plein gré vers sa sainte et bienheureuse passion, afin de mener à son terme le mystère de notre salut.
Il vient donc, en faisant route vers Jérusalem, lui qui est venu du ciel pour nous, alors que nous étions gisants au plus bas, afin de nous élever avec lui, comme l’explique l’Écriture, au-dessus de toutes les puissances et de toutes les forces qui nous dominent, quel que soit leur nom.
Et il vient sans ostentation et sans faste. Car, dit le prophète, il ne protestera pas, il ne criera pas, on n’entendra pas sa voix. Il sera doux et humble, il fera modestement son entrée. ~
Alors, courons avec lui qui se hâte vers sa passion, imitons ceux qui allèrent au-devant de lui. Non pas pour répandre sur son chemin, comme ils l’ont fait, des rameaux d’olivier, des vêtements ou des palmes. C’est nous-mêmes qu’il faut abaisser devant lui, autant que nous le pouvons, par l’humilité du cœur et la droiture de l’esprit afin d’accueillir le Verbe qui vient, afin que Dieu trouve place en nous, lui que rien ne peut contenir.
Car il se réjouit de s’être ainsi montré à nous dans toute sa douceur, lui qui est doux, lui qui monte au dessus du couchant, c’est-à-dire au-dessus de notre condition dégradée. Il est venu pour devenir notre compagnon, nous élever et nous ramener vers lui par la parole qui nous unit à Dieu.
Bien que, dans cette offrande de notre nature humaine, il soit monté au sommet des cieux, à l’orient, comme dit le psaume, j’estime qu’il l’a fait en vertu de la gloire et de la divinité qui lui appartiennent. En effet, il ne devait pas y renoncer, à cause de son amour pour l’humanité, afin d’élever la nature humaine au-dessus de la terre, de gloire en gloire, et de l’emporter avec lui dans les hauteurs.
C’est ainsi que nous préparerons le chemin au Christ : nous n’étendrons pas des vêtements ou des rameaux inanimés, des branches d’arbres qui vont bientôt se faner, et qui ne réjouissent le regard que peu de temps. Notre vêtement, c’est sa grâce, ou plutôt c’est lui tout entier que nous avons revêtu : Vous tous que le baptême a unis au Christ, vous avez revêtu le Christ. C’est nous-mêmes que nous devons, en guise de vêtements, déployer sous ses pas.
Par notre péché, nous étions d’abord rouges comme la pourpre, mais le baptême de salut nous a nettoyés et nous sommes devenus ensuite blancs comme la laine. Au lieu de branches de palmier, il nous faut donc apporter les trophées de la victoire à celui qui a triomphé de la mort.
Nous aussi, en ce jour, disons avec les enfants, en agitant les rameaux qui symbolisent notre vie : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, le roi d’lsraël !

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Saint Théodore le Studite (759-826), moine à Constantinople

Catéchèse 53 (Les Grandes Catéchèses, coll. Spiritualité orientale n° 79, trad. F. de Montleau, éd. Bellefontaine, 2002, p. 395-396; rev.)

Louange à son abaissement !

Nous voici donc arrivés à la sainte et grande semaine de l’accomplissement des souffrances du Christ, et à nouveau nous apprenons en quoi, combien de fois, quand et à quel point s’est abaissé pour nous le Seigneur de gloire (1 Co 2,8), notre Dieu et notre créateur. En vérité, nous sommes tout illuminés quand nous nous pénétrons à nouveau de tout cela. En effet, quelle âme de pierre n’est saisie de componction et ne se laisse fléchir en apprenant que le Seigneur est livré par un disciple aux mains des impies (cf. Ac 2,23) ? Il est lié par la main des soldats, mené devant un tribunal. Il est condamné; lui, la vérité, il s’entend appeler imposteur et charlatan (cf. Mt 27,63), lui, le sauveur de tous, on le frappe au visage et il supporte ; on le couvre de crachats et il ne se défend pas ; par dérision, on le ceint de la couronne d’épines, et il ne réduit pas en cendres ceux qui osent ces outrages ; il est revêtu d’un manteau de pourpre comme un roi et, comme un malfaiteur, frappé à coups de poings. Enfin il est crucifié, transpercé avec une lance. Il goûte à la mort, lui qui est la vie de tous. Et aussitôt, il ressuscite, nous relevant ainsi de notre déchéance, et il nous remet debout pour une inaltérable immortalité. (…) Qu’allons-nous t’offrir, parce que dans ton inépuisable bonté, tu nous as considérés d’un si grand prix que, loin de mépriser ta créature perdue, tu es venu nous sauver par le moyen d’un extrême, d’un indicible abaissement ? Cependant, tu nous a rendus forts et tu nous as sauvés. Et de nos lèvres pécheresses et indignes, nous t’offrons toute la louange et l’action de grâces dont nous sommes capables. Cet exemple, nous sommes instamment priés de chercher à l’imiter, de nous y conformer dans les choses grandes et importantes et, tout autant, de le prendre pour modèle dans les choses petites et serviles. Car c’est cela rendre grâces dignement.


Dimanche 17 mars 2024

LETTRE PASCALE DE SAINT ATHANASE

« Notre Pâque, c’est le Christ »

Il est tout proche de nous, ce Verbe qui pour nous s’est fait toutes choses : je veux dire notre Seigneur Jésus Christ qui a promis de demeurer continuellement auprès de nous. Il s’écrie en effet : Voici que je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde. Il est lui-même pasteur, souverain prêtre, chemin et porte, et il est devenu pour nous tout cela en même temps. C’est ainsi encore que la fête et la solennité nous est apparue ; comme dit l’Apôtre : Notre Agneau pascal qui a été immolé, c’est le Christ que l’on attendait. Mais il avait déjà brillé pour le psalmiste en prière qui disait : Mon allégresse, délivre-moi des ennemis qui m’assiègent. Telle est la véritable allégresse, telle est l’authentique solennité : l’éloignement de nos malheurs. Pour que chacun y parvienne, il faut que sa conduite soit parfaitement droite, et qu’il médite intérieurement dans le repos que procure la crainte du Seigneur.

C’est ainsi que les saints, pendant leur vie, étaient continuellement dans la joie, et comme à une fête. L’un d’entre eux, le bienheureux David, se levait la nuit non pas une fois mais sept fois et se conciliait le Seigneur par la prière. Un autre, le grand Moïse, chantait son allégresse par des hymnes et louait Dieu pour la victoire remportée sur Pharaon et les Égyptiens qui accablaient de corvées les Hébreux. Enfin, d’autres exerçaient le culte divin avec une joie constante, comme le grand Samuel et le bienheureux Élie. Ils avaient acquis la liberté par la sainteté de leur vie, et maintenant ils célèbrent la fête dans le ciel ; ils se réjouissent du pèlerinage qu’ils accomplissaient jadis dans l’ombre des figures, dont ils voient maintenant la différence avec la vérité.

Et nous, qui célébrons maintenant la solennité, quels chemins prenons-nous ? Et en approchant de cette fête, quel guide suivrons-nous ? Absolument aucun, mes bien-aimés, sinon celui que vous appelez avec moi notre Seigneur Jésus Christ, lui qui a dit : Je suis le Chemin.

C’est lui, nous dit saint Jean, qui enlève le péché du monde. C’est lui qui purifie nos âmes, selon une parole du prophète Jérémie : Placez-vous sur les chemins, regardez, considérez quel est le bon chemin, et vous y trouverez la purification de vos âmes.

Jadis le sang des boucs et la cendre de la génisse que l’on répandait sur les impurs n’étaient capables que de purifier le corps. Maintenant, par la grâce du Verbe de Dieu, chacun est pleinement purifié. Si nous le suivons sans tarder, nous pourrons, comme au seuil de la sainte Jérusalem, entrevoir la fête éternelle. Ainsi encore les bienheureux Apôtres, qui suivaient le Sauveur comme leur guide, étaient alors et sont encore maintenant les maîtres de cette grâce. Car ils disaient : Voici que nous avons tout quitté et que nous t’avons suivi. Nous-mêmes, nous suivons le Seigneur et nous accomplissons la fête du Seigneur non seulement en paroles, mais par nos actes.

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La souffrance de Jésus

En y regardant de près‚ on se rend compte que l’expérience d’angoisse que vit Jésus est pour nous une expérience fondatrice qui nous éduque à voir Dieu, dans toutes les circonstances de notre vie et même dans les situations les plus douloureuses. Angoissé par la peur de la souffrance, Jésus nous apprend que la souffrance peut être aussi un chemin qui mène à Dieu. Il ne s’agit pas d’être un adepte du dolorisme et de chercher à voir la souffrance partout, parce que la souffrance, Jésus ne va pas la chercher, mais il s’agit de l’assumer. La peur de souffrir a été pour Jésus le lieu d’un dialogue avec Dieu, car son expérience l’a conduit à savoir décrypter la présence de Dieu dans chacun de ses états d’âme. Voilà pourquoi sa souffrance assumée, comme nous le dit saint Paul dans la deuxième lecture, est devenue pour lui l’espace d’un apprentissage à l’obéissance et d’une école de la perfection.

Frère Élisé, o.c.d.

Le frère Élisé est carme déchaux de la Province de Paris. / Dans Province des Carmes de Paris, Trésors spirituels du Carmel pour l’année liturgique, Perpigan, Artège, 2022, p. 128.


Dimanche 10 mars 2024

C’est chacun qui se juge ou ne se juge pas lui-même

« Celui qui croit [au Fils de Dieu] échappe au Jugement », car tous les péchés pour lesquels il devrait être jugé lui sont remis. « Celui qui ne croit pas », son jugement est déjà terminé, car il ne croit pas que ses péchés lui sont remis et ne veut pas qu’ils le soient. Il faut noter ici que c’est chacun qui se juge ou ne se juge pas lui-même. Celui qui ne croit pas se juge lui-même, puisqu’il retient en lui ce qui appelle le jugement. Il est « déjà jugé » : le Christ a dit déjà, c’est-à-dire dès le temps présent. Car, bien que son jugement, celui par lequel il se juge condamnable, soit encore caché en cette vie, il sera manifesté dans la vie future. Pourquoi est-il déjà jugé ? « Du fait qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu. » Le Jugement, autrement dit la damnation éternelle, n’est pas autre chose que de ne pas croire au Fils de Dieu, de même que la béatitude et la vie ne sont pas autre chose que de croire au Fils de Dieu.

Jean Scot Érigène

Irlandais d’origine, le philosophe et théologien Jean Scot Érigène († v. 876) enseigna à la cour de Charles le Chauve, roi de France. / Commentaire sur l’Évangile de Jean, III, 6, trad. Jeauneau, Paris, Cerf, 1972, Sources Chrétiennes 180, p. 235.

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COMMENTAIRE DE SAINT AUGUSTIN SUR L’ÉVANGILE DE JEAN

Le signe du serpent de bronze

Par sa mort, le Christ nous a délivrés de la mort : la mort l’a saisi, et il a tué la mort. Vous le savez, frères, Dieu n’a pas fait la mort, l’Écriture l’affirme : il ne se réjouit pas de voir mourir les êtres vivants, il a créé toutes choses pour qu’elles subsistent, mais, ajoute l’Écriture, par la jalousie du diable, la mort est entrée dans le monde.

Or Jésus, le Fils de Dieu, le Verbe de Dieu, par qui tout a été fait, est devenu mortel, car le Verbe s’est fait chair. Il a donc reçu la mort, et il a cloué la mort en croix. C’est ce qui a été donné en figure autrefois : de même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin que tout homme qui croit obtienne par lui la vie éternelle. C’est là un symbole important. Le peuple d’Israël était prostré dans le désert par des morsures de serpents, il mourut un grand nombre de gens. Le Seigneur ordonna à Moïse de faire un serpent d’airain et de l’élever sur une hampe dans le désert, et d’avertir le peuple : si quelqu’un était mordu par un serpent, qu’il regarde le serpent élevé sur la hampe.

Quels sont ces serpents qui mordent ? Les péchés qui nous viennent de notre condition mortelle. Quel est le serpent élevé ? Le Christ mort en croix. La morsure du serpent est mortelle, la mort du Seigneur donne vie.

Le Christ est la vie, et pourtant il est mis en croix. Le Christ est la vie, et pourtant il est mort. Mais dans la mort du Christ la mort est morte : en mourant, la Vie a tué la mort, la plénitude de la vie a englouti la mort, la mort a été absorbée dans le corps du Christ. Mais nous aussi, nous le dirons à la résurrection, lorsque nous chanterons un chant triomphal : Ô mort, où est ta victoire ? Ô mort, où est ton aiguillon ? D’ici là, frères, pour guérir du péché, regardons le Christ en croix. Ceux qui regardaient le serpent de bronze ne périssaient pas des suites des morsures des serpents ; ceux qui contemplent avec foi la mort du Christ sont guéris des morsures des péchés. Jadis ils furent libérés de la mort pour une vie qui n’avait qu’un temps ; maintenant, c’est pour obtenir la vie éternelle.


Dimanche 3 mars 2024

Le vrai Temple de Dieu

Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours, je le relèverai. Jésus, parlait, dit l’Évangéliste, du sanctuaire de son corps. Il est manifeste, que trois jours après avoir été mis à mort, le Seigneur est ressuscité. Si les Juifs demeurent exclus de cette connaissance, parce qu’ils sont dehors, pour nous elle est patente, parce que nous savons en qui nous croyons. Nous allons bientôt célébrer la solennité annuelle qui commémore la destruction et la réédification de ce temple.

En venant dans le monde, le Christ a reçu un corps, qui lui vient d’Adam. Les Juifs ont détruit le temple qui vient d’Adam, le corps du Christ, mais le Seigneur l’a relevé le troisième jour. Il a ressuscité sa chair ; en cela vous voyez qu’il est Dieu égal à son Père. L’Apôtre dit : Le Christ s’est fait obéissant jusqu’à mourir, et mourir sur une croix. C’est pourquoi Dieu l’a relevé d’entre les morts et lui a conféré le Nom qui surpasse tous les noms. Le Seigneur est ressuscité, il a été exalté. Qui l’a ressuscité ? Le Père, à qui il dit dans un psaume : Relève-moi, je leur rendrai ce qu’ils méritent. Le Père l’a ressuscité. Il ne s’est donc pas ressuscité lui-même ? Mais le Père fait-il rien sans le Verbe ? Le Père fait-il rien sans son Fils unique ? Écoutez bien ce que dit le Christ : Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai. Est-ce qu’il a dit : Détruisez ce sanctuaire, et dans trois jours le Père le relèvera ? Ce que fait le Père, le Fils le fait pareillement: quand le Père relève, le Fils relève ; quand le Fils relève, le Père relève, car, dit le Fils : le Père et moi, nous sommes un.

Saint Augustin, Commentaire sur l’évangile de Jean

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« En trois jours je le relèverai »

Il est grand, le mystère de notre résurrection, et extrêmement difficile à sonder. Il est annoncé dans beaucoup de textes de l’Écriture, mais surtout dans Ézéchiel (…) : « L’Esprit du Seigneur me déposa dans une vallée pleine d’ossements humains (…) ; ils étaient complètement desséchés. Le Seigneur me dit : Fils d’homme, ces ossements vivront-ils ? Je répondis : Seigneur, c’est toi qui le sais. Il me dit : Prophétise sur ces ossements. Tu leur diras : Ossements desséchés, écoutez la parole du Seigneur » (Ez 37,1-4). (…) Quels sont donc ces ossements à qui il est dit : « Écoutez la parole du Seigneur » (…) sinon le Corps du Christ, dont le Seigneur disait : « Tous mes os sont disloqués » (Ps 21,15). (…) Comme a eu lieu la résurrection du corps véritable et parfait du Christ, un jour les membres du Christ (…) seront réunis, l’os à son os, la jointure à la jointure. Personne privé de cette jointure n’atteindra « l’homme parfait, à la stature du corps du Christ dans sa plénitude » (Ep 4,13). Alors (…) « tous les membres du corps, à plusieurs, formeront un seul corps » (1Co 12,12). (…) Je dis cela à propos du Temple dont le Seigneur a dit : « Le zèle pour ta maison me dévore » (Ps 68,10), et à propos des juifs qui lui demandaient de leur montrer un signe, et enfin à propos de sa réponse (…) : « Détruisez ce Temple, et en trois jours je le relèverai ». Car il faut que soit chassé de ce temple, qui est le Corps du Christ, tout ce qui refuse la raison et ce qui relève du commerce, pour qu’à l’avenir ce temple ne soit plus une maison de marchands. Il faut en outre (…) qu’après sa destruction par ceux qui refusent la parole de Dieu, il soit relevé le troisième jour (…) Grâce à la purification de Jésus, ses disciples, ayant abandonné tout ce qui est déraisonnable et toute forme de commerce et à cause du zèle du Verbe, la Parole de Dieu, qui est présent en eux, ses disciples seront « détruits » pour être « relevés » par Jésus en trois jours. (…) Car il faut trois jours entiers pour que cette reconstruction soit achevée. C’est pourquoi l’on peut dire d’une part que la résurrection a eu lieu et d’autre part qu’elle est à venir : vraiment « nous avons été ensevelis avec le Christ » et « avec lui nous nous lèverons » (cf Rm 6,4). (…) « Tous revivront dans le Christ, mais chacun à son rang : comme prémices, le Christ, puis ceux qui seront au Christ lors de son avènement » (1Co 15,22s).

Origène (v. 185-253), prêtre et théologien, Commentaire de l’évangile de Jean, 10 (in Thèmes et figures bibliques, coll. Pères dans la foi n°28-29; trad. Carmélites de Mazille; Éd. DDB 1984, p. 133 rev.)


Dimanches 18 et 25 février 2024

La tentation après le baptême

Si, après le baptême, tu es attaqué par le persécuteur, le tentateur de la lumière, tu auras matière à victoire. Il t’attaquera certainement, puisqu’il s’en est pris au Verbe, mon Dieu, trompé par l’apparence humaine qui lui dérobait la lumière incréée. Ne redoute pas le combat. Oppose-lui l’eau du baptême, oppose-lui l’Esprit Saint dans lequel s’éteignent tous les traits enflammés lancés par le Malin. (…) S’il t’expose le besoin qui t’accable — il n’a pas manqué de le faire à Jésus —, s’il te rappelle que tu as faim, n’aie pas l’air d’ignorer ses propositions. Apprends-lui ce qu’il ne connaît pas ; oppose-lui la Parole de vie, ce vrai Pain envoyé du ciel et qui donne la vie au monde. S’il te tend le piège de la vanité — il en usa contre le Christ, lors qu’il le fit monter sur le pinacle du Temple et lui dit : « Jette-toi en bas » pour lui faire manifester sa divinité —, prends garde de ne pas déchoir pour avoir voulu t’élever. (…)     S’il te tente par l’ambition en te montrant, dans une vision instantanée, tous les royaumes de la terre comme soumis à son pouvoir et s’il exige de toi l’adoration, méprise-le : ce n’est qu’un pauvre frère. Dis-lui, confiant dans le sceau divin : « Je suis, moi aussi, l’image de Dieu ; je n’ai pas encore été, comme toi, précipité du haut de ma gloire à cause de mon orgueil ! Je suis revêtu du Christ ; je suis devenu un autre Christ par mon baptême ; c’est à toi de m’adorer. » Il s’en ira, j’en suis sûr, vaincu et mortifié par ces paroles. Venant d’un homme illuminé par le Christ, elles seront ressenties par lui comme si elles émanaient du Christ, la lumière suprême. Voilà les bienfaits qu’apporte l’eau du baptême à ceux qui reconnaissent sa force.

Saint Grégoire de Nazianze (330-390), évêque et docteur de l’Église. Sermon XL, 10

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La Transfiguration

Le Seigneur découvre sa gloire devant les témoins qu’il a choisis, et il éclaire d’une telle splendeur cette forme corporelle qu’il a en commun avec les autres hommes que son visage a l’éclat du soleil et que ses vêtements sont aussi blancs que la neige.

Par cette transfiguration il voulait avant tout prémunir ses disciples contre le scandale de la croix et, en leur révélant toute la grandeur de sa dignité cachée, empêcher que les abaissements de sa passion volontaire ne bouleversent leur foi.

Mais il ne prévoyait pas moins de fonder l’espérance de l’Église, en faisant découvrir à tout le corps du Christ quelle transformation lui serait accordée ; ses membres se promettraient de partager l’honneur qui avait resplendi dans leur chef.

Le Seigneur lui-même avait déclaré à ce sujet, lorsqu’il parlait de la majesté de son avènement : Alors les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur Père. Et l’Apôtre saint Paul atteste lui aussi : J’estime qu’il n’y a pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire que le Seigneur va bientôt révéler en nous. Et encore : Vous êtes morts avec le Christ, et votre vie reste cachée avec lui en Dieu. Quand paraîtra le Christ qui est votre vie, alors, vous aussi, vous paraîtrez avec lui en pleine gloire. Cependant, pour confirmer les Apôtres et les introduire dans une complète connaissance, un autre enseignement s’est ajouté à ce miracle.

En effet, Moïse et Élie, c’est-à-dire la Loi et les Prophètes, apparurent en train de s’entretenir avec le Seigneur. Ainsi, par la réunion de ces cinq hommes s’accomplirait de façon certaine la prescription : Toute parole est garantie par la présence de deux ou trois témoins.

Qu’y a-t-il donc de mieux établi, de plus solide que cette parole ? La trompette de l’Ancien Testament et celle du Nouveau s’accordent à la proclamer ; et tout ce qui en a témoigné jadis s’accorde avec l’enseignement de l’Évangile.

Les écrits de l’une et l’autre Alliance, en effet, se garantissent mutuellement ; celui que les signes préfiguratifs avaient promis sous le voile des mystères, est montré comme manifeste et évident par la splendeur de sa gloire présente. Comme l’a dit saint Jean, en effet : Après la Loi communiquée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ. En lui s’est accomplie la promesse des figures prophétiques comme la valeur des préceptes de la Loi, puisque sa présence enseigne la vérité de la prophétie, et que sa grâce rend praticables les commandements.

Que la foi de tous s’affermisse avec la prédication de l’Évangile, et que personne n’ait honte de la croix du Christ, par laquelle le monde a été racheté.

Que personne donc ne craigne de souffrir pour la justice, ni ne mette en doute la récompense promise ; car c’est par le labeur qu’on parvient au repos, par la mort qu’on parvient à la vie. Puisque le Christ a accepté toute la faiblesse de notre pauvreté, si nous persévérons à le confesser et à l’aimer, nous sommes vainqueurs de ce qu’il a vaincu et nous recevons ce qu’il a promis. Qu’il s’agisse de pratiquer les commandements ou de supporter l’adversité, la voix du Père que nous avons entendue tout à l’heure doit retentir sans cesse à nos oreilles : Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui j’ai mis tout mon amour ; écoutez-le !

SAINT LÉON LE GRAND, Sermon pour le 2è dimanche de carême


Dimanche 11 février 2024

Le Christ et son épouse remettent les péchés

Il y a deux choses qui reviennent à Dieu seul : l’honneur de recevoir la confession et attendre de lui la rémission. À Dieu seul il appartient, en effet, de remettre les péchés ; c’est donc à lui seul qu’il faut les confesser. Mais le Tout-Puissant et le Très-Haut, ayant pris une épouse faible et insignifiante, fit de cette servante une reine. (…) Et de même que tout ce qui est au Père est au Fils et tout ce qui est au Fils est au Père de par leur unité de nature, de même l’Époux a donné tous ses biens à l’épouse et il a pris en charge tout ce qui appartient à l’épouse qu’il a unie à lui-même et aussi à son père. (…) Aussi l’Époux, qui est un avec le Père et un avec l’épouse, a enlevé en celle-ci tout ce qu’il a trouvé chez elle d’étranger, le fixant à la croix où il a porté ses péchés sur le bois et les a détruits par le bois. Ce qui est naturel et propre à l’épouse, il l’a assumé et revêtu ; ce qui lui est propre et divin, il l’a donné. (…) Il partage la faiblesse de l’épouse ainsi que son gémissement, et tout est commun à l’Époux et à l’épouse : l’honneur de recevoir la confession et le pouvoir de la rémission. C’est la raison de cette parole : « Va te montrer au prêtre » (Mt 8,4).

Isaac de l’Étoile (?-v. 1171), moine cistercien. Sermon 11, 6-13 ; PL 194, 1728A-1729C (in “Lectures chrétiennes pour notre temps”, fiche D3 ; trad. Orval ; © 1972 Abbaye d’Orval ; rev.)

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La relation pour faire circuler la vie

Nous vous proposons de découvrir un extrait du tout récent ouvrage collectif, Dire saint Marc.

On ne touche pas l’impur. Le toucher contamine. Un courant de malédiction va de l’impur touché vers le touchant. On ne touche pas un lépreux. Il transmet la mort.

Il lui dit : « Je le veux, sois purifié. » Il le touche […] et aussitôt la lèpre s’en va de lui.

Une puissance bienfaisante passe de celui qui touche vers celui qui est touché.

Celui-là qui a touché le lépreux lui a transmis la vie. Il le touche […] et aussitôt, s’en va de lui, la lèpre.

Le mouvement est inversé : la contamination qui va du lépreux vers l’autre est annulée et la guérison passe de celui qui le touche jusqu’au lépreux.

Deux corps sont engagés. Deux corps sont transformés. Corps à corps.

Celui qui touche le lépreux est ébranlé par la puissance qui émane de lui : un remuement au plus intime de lui-même, en son ventre, lieu de ses émotions comme en son cœur, siège de sa volonté.

« Il est frémissant à cause de lui. » Il est pris de tremblements, comme effrayé de sa propre puissance, au point de renvoyer le lépreux.

Celui qui est touché est libéré. Toute impureté chassée, toute blessure réparée, toute exclusion refusée.

Ce récit rapporte une subversion. Aux prescriptions qui asservissent se substitue la loi du cœur qui libère.

André Fossion, s.j., J.-P. Laurent, s.j., Thérèse Gabriel

Thérèse Gabriel est peintre ; André Fossion, jésuite, est théologien ; Jean-Paul Laurent, jésuite, est linguiste. / Dire saint Marc. D’un texte à l’autre pour penser, pour prier, pour désirer. Lumen vitae, 2023, p. 12.


Dimanche 4 février 2024

 « Jésus s’approcha d’elle et la prit par la main »

      C’est une belle chose de lire ce qui est rapporté de la belle-mère de saint Pierre dans l’Évangile. Cette bonne femme, étant malade d’une fâcheuse fièvre, entendait dire que notre Seigneur était en Capharnaüm, qu’il faisait de grands miracles, guérissant les malades, chassant les diables des possédés, et autres merveilles. Elle savait que son gendre était avec le Fils de Dieu et pouvait dire à saint Pierre : « Mon fils, votre maître est puissant et a le pouvoir de me délivrer de cette maladie ». Quelque temps après, voilà que notre Seigneur vint dans sa maison, où elle ne témoigne point d’impatience pour son mal ; elle ne se plaint point, elle ne prie point son gendre, non pas même notre Seigneur, car elle lui pouvait dire : « Je sais que vous avez la puissance de guérir toutes sortes de maladies, Seigneur ; ayez compassion de moi ». Pourtant elle ne dit rien de tout cela, et notre Seigneur, voyant son indifférence, commanda à la fièvre de la quitter, et au même instant elle fut guérie.      

Dans toutes les choses fâcheuses qui nous arrivent, ne nous mettons point en peine, abandonnons tout cela à la Providence, et qu’il nous suffise que notre Seigneur nous voit et sait ce que nous endurons pour son amour et pour imiter les beaux exemples qu’il nous a donnés, particulièrement au Jardin des Olives, lorsqu’il accepta le calice… Car, bien qu’il ait demandé qu’il passe, si faire se pouvait, sans qu’il le boive, il ajouta aussitôt que la volonté de son Père soit faite (Mt 26,42).

Saint Vincent de Paul (1581-1660), prêtre, fondateur de communautés religieuses. Instruction du 16/08/1656 à deux sœurs envoyées à Arras

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Expulser les démons

Si je me mets vraiment à la suite du Christ, qui s’est incarné dans notre monde tel qu’il est, je vais sortir, quitte à entrer dans l’impur de notre humanité, et tâcher, avec d’autres, de le purifier de l’intérieur. Mais surtout pas en m’évadant de cet impur sous prétexte que le réel est impur. Charles Péguy, grand poète catholique et français, ne disait-il pas : « Ils ont les mains propres, mais ils n’ont pas de mains » ?

Dieu, lui-même, n’a pas craint de s’engager totalement, jusque dans le plus bas de notre humanité. Il a continué d’aimer jusque-là. Une telle puissance d’amour donne la force de sortir de l’enfermement. Dans la Bible, cela s’appelle la « pitié ». Au sens étymologique habituel du terme, ce sont les entrailles d’une mère qui porte et défend la vie jusqu’au bout ! C’est cette puissance de compassion et d’émotion qui me met en route. Dans le mot « émotion », il y a « se mouvoir », être saisi jusqu’aux entrailles. C’est la matrice de mon être lumineux et étincelant. Quand cette puissance de miséricorde est, en moi, sollicitée, je puis sortir de mes propres peurs, des murs, de l’isolement, de l’enfermement, du conflit, pour me rendre capable de me mettre en route vers l’autre et d’oser faire face à celui qui dérange.

Frère Benoît Dubigeon, o.f.m., franciscain, prêtre en Essonne et aumônier à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. / C’est ton visage que je cherche, Artège, 2023, p. 66.


Dimanche 28 janvier 2024

« Es-tu venu pour nous perdre ? »

« Il y avait dans leur synagogue un homme, tourmenté par un esprit mauvais ». Cet esprit ne pouvait pas supporter la présence du Seigneur ; il s’agissait de cet esprit impur qui avait conduit tous les hommes à l’idolâtrie (…) « Quelle entente entre le Christ et Satan ? » (2Co 6,15) ; le Christ et Satan ne pouvaient pas être associés l’un à l’autre. « Il cria en disant : ‘Que nous veux-tu ?’ » Celui qui s’exclame ainsi est un individu qui s’exprime au nom de plusieurs personnes ; cela prouve qu’il a conscience d’avoir été vaincu, lui et les siens. « Il cria en disant (…) : ‘Que nous veux-tu, Jésus le Nazaréen ? Es-tu venu pour nous perdre ? Je sais qui tu es : le Saint de Dieu’ ». En plein tourment et malgré l’intensité des souffrances qui le font crier, il n’a pas abandonné son hypocrisie. Il est contraint de dire la vérité, la souffrance le presse, mais la malice l’empêche de dire toute la vérité : « Que nous veux-tu, Jésus le Nazaréen ? » Pourquoi ne reconnais-tu pas le Fils de Dieu ? Est-ce le Nazaréen qui te torture, et non pas le Fils de Dieu ? (…) Moïse n’était-il pas Saint de Dieu ? Et Isaïe et Jérémie n’ont-ils pas été des Saints de Dieu ? (…) Pourquoi ne leur dis-tu pas : « Je sais qui tu es, Saint de Dieu » ? (…) Ne dis pas « Saint de Dieu » mais « Dieu Saint ». Tu t’imagines que tu sais, mais tu ne sais pas ; ou si tu sais, tu te tais par duplicité. Car il n’est pas seulement le Saint de Dieu, mais Dieu Saint.

Saint Jérôme (347-420) prêtre, traducteur de la Bible, docteur de l’Église.

Commentaire sur l’évangile de marc, 2 ; PLS 2, 125s (Marc commenté par Jérôme et Jean Chrysostome, coll. Les P7res dans la Foi n°32 ; trad. M.-H. Stébé ; Ed. DDB 1986, p.47,rev.)

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La puissance de Dieu rencontre la faiblesse des hommes

« Tais-toi ! Sors de cet homme »‚ crie Jésus. Il ne peut supporter qu’un esprit impur empêche cet homme – et tout homme – de recevoir la vie de Dieu, d’entendre sa Parole. Et comme cet homme délivré va commencer une vie nouvelle, ainsi Jésus vient-il nous offrir cette possibilité d’être délivrés à notre tour de tous ces obstacles qui font écran en nous et empêchent que la Parole de Dieu puisse s’imprimer en nos cœurs et porter du fruit. Aussi l’assemblée est-elle surprise par ce qu’elle entend et voit. La puissance de Dieu vient à la rencontre de la faiblesse des hommes. Et telle une introduction au commencement d’un devoir, ces premiers versets de l’Évangile de saint Marc nous rappellent ce que sera la mission de Jésus. Il est Jésus, c’est-à-dire Dieu sauve. Non, nous ne sommes pas condamnés à porter pour toujours tel ou tel poids qui nous écraserait et risquerait de bloquer la vie de Dieu en nous. En libérant cet homme, Jésus montre quelle sera sa mission, sa vie, son action.

Frère Didier-Joseph, o.c.d. (né en 1954), carme déchaux, est le prieur du couvent de Lisieux, de la Province de Paris. / Province des Carmes de Paris, Trésors spirituels du Carmel, Perpignan, Artège, 2022, p. 279.


Dimanche 21 janvier 2024

ACTES DU IIe CONCILE VATICAN — La Liturgie

Présence du Christ à son Église dans la Liturgie.

Le Christ est toujours là auprès de son Église, surtout dans les actions liturgiques. Il est là présent dans le sacrifice de la messe : dans la personne du ministre, car « celui qui offre maintenant par le ministère des prêtres, est celui-là même qui s’offrit alors lui-même sur la croix. » Il est présent surtout sous les espèces eucharistiques. Il est là présent par sa vertu dans les sacrements au point que, lorsque quelqu’un baptise, c’est lui qui baptise. Il est là présent dans sa parole, car c’est lui qui parle tandis qu’on lit dans l’Église les Saintes Écritures. Enfin il est là présent lorsque l’Église prie et chante les psaumes, lui qui a promis : Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux.

Effectivement, pour l’accomplissement de cette grande œuvre par laquelle Dieu est parfaitement glorifié et les hommes sanctifiés, le Christ s’associe toujours l’Église, son Épouse bien-aimée qui l’invoque comme son Seigneur et qui passe par lui pour rendre son culte au Père éternel.

C’est donc à juste titre que la liturgie est considérée comme l’exercice de la fonction sacerdotale de Jésus Christ, exercice dans lequel la sanctification de l’homme est signifiée par des signes sensibles et est réalisée d’une manière propre à chacun d’eux. Là, le culte public intégral est exercé par le Corps mystique de Jésus Christ, c’est-à-dire par le Chef et par ses membres.

Par suite, toute célébration liturgique, en tant qu’œuvre du Christ prêtre et de son Corps qui est l’Église, est une action sacrée par excellence, dont nulle autre action de l’Église ne peut égaler l’efficacité au même titre et au même degré.

Dans la liturgie terrestre, nous participons, par un avant-goût, à cette liturgie céleste qui se célèbre dans la sainte Cité de Jérusalem à laquelle nous tendons comme des voyageurs ; c’est là que le Christ siège à la droite de Dieu comme ministre du vrai sanctuaire et de la véritable tente. Avec toute l’armée des chœurs célestes, nous chantons au Seigneur l’hymne de gloire ; en vénérant la mémoire des saints, nous espérons partager leur société ; nous attendons comme sauveur le Seigneur Jésus Christ, jusqu’au moment où il paraîtra, lui, notre vie, et où, nous aussi, nous paraîtrons avec lui en pleine gloire. ~

L’Église célèbre le mystère pascal, en vertu d’une tradition apostolique qui remonte au jour même de la résurrection du Christ, chaque huitième jour, qui est nommé à bon droit « jour du Seigneur » ou dimanche. Ce jour-là, en effet, les fidèles doivent se rassembler pour que, en entendant la parole de Dieu et en participant à l’Eucharistie, ils se souviennent de la passion, de la résurrection et de la gloire du Seigneur Jésus ; pour qu’ils rendent grâce à Dieu qui les a fait renaître, grâce à la résurrection de Jésus Christ, pour une vivante espérance. Aussi le jour dominical est-il le jour de fête primordial, qu’il faut proposer et inculquer à la piété des fidèles, de sorte qu’il devienne aussi jour de joie et de cessation du travail. Les autres célébrations, à moins qu’elles ne soient véritablement de la plus haute importance, ne doivent pas l’emporter sur lui, car il est le fondement et le noyau de toute l’année liturgique.

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Tu n’es plus un poisson

Ce n’est pas seulement à cette époque-là mais ­maintenant encore que notre Sauveur envoie des pêcheurs d’hommes après les avoir éduqués afin que nous puissions sortir de la mer et fuir l’amertume de ses flots.

Mais les poissons sans âme qui sont entrés dans les seines, dans les éperviers, dans les filets ou qui ont mordu aux hameçons, meurent de mort sans que vie s’en suive, tandis que celui qui a été pris par les pêcheurs de Jésus et qui est sorti de la mer meurt, lui aussi, mais il meurt au monde, meurt au péché, et après être mort au monde et au péché il est vivifié par la Parole de Dieu et reçoit une autre vie. De sorte que si tu as pu concevoir par hypothèse une âme de poisson qui change après être sortie d’un corps de poisson et qui devient quelque chose de mieux qu’un poisson, tu concevras bien quelque chose comme ceci : tu es sorti de la mer en tombant dans les filets des disciples de Jésus ; en sortant tu changes d’âme, tu n’es plus un poisson vivant dans les flots sorti de la mer, mais aussitôt ton âme change, se transforme et devient quelque chose de mieux et de plus divin que ce qu’elle était auparavant.

Origène († v. 254), prêtre né à Alexandrie, penseur et spirituel éminent, fut le plus profond exégète de l’Antiquité chrétienne. / Homélies sur Jérémie, 16, 1, trad. P. Husson et P. Nautin, Paris, Cerf, 1977, Sources Chrétiennes 238, p. 133.


Dimanche 14 janvier 2024

« Nous avons trouvé le Messie »

André, après avoir demeuré auprès de Jésus et avoir beaucoup appris, n’a pas gardé ce trésor pour lui : il se hâte de courir auprès de son frère, pour le faire participer aux biens qu’il a reçus. (…) Remarque combien, dès le début, Pierre a un esprit docile et obéissant (…), car il accourut sans tarder : « André le conduisit à Jésus », dit l’évangéliste. Mais que personne ne l’accuse de légèreté, comme s’il avait accueilli aveuglément l’invitation de son frère. Il est probable que celui-ci lui avait parlé en détail et longuement. Mais les évangélistes suppriment beaucoup de choses par souci de concision. D’ailleurs, on ne dit pas que Pierre a cru aussitôt, mais que son frère « le conduisit à Jésus » pour le lui confier, afin que Pierre soit entièrement instruit par lui. Lorsque Jean Baptiste a dit : « Voici l’Agneau » et « C’est lui qui baptise dans l’Esprit Saint », il a confié au Christ le soin d’enseigner lui-même plus clairement cette doctrine. À plus forte raison André a-t-il fait de même, car il ne se jugeait pas capable de tout expliquer. Il a conduit son frère à la source même de la lumière, et avec tant de hâte et de joie qu’il n’a pas hésité un instant de s’y rendre.

Saint Jean Chrysostome (v. 345-407) prêtre à Antioche puis évêque de Constantinople, docteur de l’Église . Homélies sur l’évangile de Jean, n°19 (Lectionnaire monastique de l’office divin, t.1 Avent-Noël; trad. Solesmes; Éd. Solesmes-Cerf 1993, p. 963 rev.)

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Christ et rien d’autre

Aux deux disciples de Jean qui le suivent en silence, Jésus demande : « Que cherchez-vous ? » Ils répondent : « Maître, où demeures-tu ? » Ils ne cherchent pas quelque chose, mais quelqu’un, une personne. De plus, ils désirent savoir, non seulement où Jésus va, mais où il habite. Désir de vie constante, permanente, auprès de Jésus. Plus qu’une rencontre passagère. Ainsi, dès sa première page, l’histoire des Apôtres met Jésus au centre. Ce que je cherche, ce n’est pas la perfection morale. Ce n’est pas une conception du monde cohérente ou attrayante. Ce n’est même pas tel ou tel don, tel ou tel charisme divin. C’est la personne du Christ.

En Jésus, une personne vivante a remplacé la Loi. Ce n’est plus à cause d’un commandement écrit que je repousserai le meurtre et l’adultère, mais parce qu’une personne, Jésus Christ, a parlé, a vécu, est mort d’une manière qui constitue le modèle éternel. Jésus abolit et en même temps parfait la Loi.

Un moine de l’Église d’Orient

Un moine de l’Église d’Orient était le pseudonyme de Lev Gillet († 1980), prêtre et théologien orthodoxe français. / Jésus, simples regards sur le Sauveur, coll. Livre de vie, Paris, Seuil, 1962, p. 30-31.


Dimanche 7 janvier 2024

SERMON DE SAINT LÉON LE GRAND POUR L’ÉPIPHANIE

Dans tout l’univers, le Seigneur a fait connaître son salut

La miséricordieuse providence de Dieu a voulu, sur la fin des temps, venir au secours du monde en détresse. Elle décida que le salut de toutes les nations se ferait dans le Christ. ~
C’est à propos de ces nations que le saint patriarche Abraham, autrefois, reçut la promesse d’une descendance innombrable, engendrée non par la chair, mais par la foi ; aussi est-elle comparée à la multitude des étoiles, car on doit attendre du père de toutes les nations une postérité non pas terrestre, mais céleste. ~
Que l’universalité des nations entre donc dans la famille des patriarches ; que les fils de la promesse reçoivent la bénédiction en appartenant à la race d’Abraham, ce qui les fait renoncer à leur filiation charnelle. En la personne des trois mages, que tous les peuples adorent le Créateur de l’univers ; et que Dieu ne soit plus connu seulement en Judée, mais sur la terre entière afin que partout, comme en Israël, son nom soit grand. ~
Mes bien-aimés, instruits par les mystères de la grâce divine, célébrons dans la joie de l’Esprit le jour de nos débuts et le premier appel des nations. Rendons grâce au Dieu de miséricorde qui, selon saint Paul, nous a rendus capables d’avoir part, dans la lumière, à l’héritage du peuple saint ; qui nous a arrachés au pouvoir des ténèbres, et nous a fait entrer dans le royaume de son Fils bien-aimé. Ainsi que l’annonça le prophète Isaïe : Le peuple des nations, qui vivait dans les ténèbres, a vu se lever une grande lumière, et sur ceux qui habitaient le pays de l’ombre, une lumière a resplendi. Le même prophète a dit à ce sujet : Les nations qui ne te connaissaient pas t’invoqueront ; et les peuples qui t’ignoraient accourront vers toi. Ce jour-là, Abraham l’a vu, et il s’est réjoui lorsqu’il découvrit que les fils de sa foi seraient bénis dans sa descendance, c’est-à-dire dans le Christ ; lorsqu’il aperçut dans la foi qu’il serait le père de toutes les nations ; il rendait gloire à Dieu, car il était pleinement convaincu que Dieu a la puissance d’accomplir ce qu’il a promis.
Ce jour-là, David le chantait dans les psaumes : Toutes les nations, toutes celles que tu as faites, viendront t’adorer, Seigneur, et rendre gloire à ton nom. Et encore : Le Seigneur a fait connaître son salut, aux yeux des païens révélé sa justice.
Nous savons bien que tout cela s’est réalisé quand une étoile guida les trois mages, appelés de leur lointain pays, pour leur faire connaître et adorer le Roi du ciel et de la terre. Cette étoile nous invite toujours à suivre cet exemple d’obéissance et à nous soumettre, autant que nous le pouvons, à cette grâce qui attire tous les hommes vers le Christ. ~
Dans cette recherche, mes bien-aimés, vous devez tous vous entraider afin de parvenir au royaume de Dieu par la foi droite et les bonnes actions, et d’y resplendir comme des fils de lumière ; par Jésus Christ notre Seigneur, qui vit et règne avec le Père et le Saint-Esprit, pour les siècles des siècles. Amen.

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Ce que nous donnons à Jésus

L’admiration, la vénération de ce qui est divin, de ce qui élève l’homme, fait partie de la substance même de la culture humaine, des différentes cultures. En disant : Ils ouvrirent leurs coffrets et lui offrirent leurs présents…, l’Évangile nous apporte un second élément de la rencontre de l’homme avec Dieu. Par ces mots, saint Matthieu exprime un élément qui caractérise profondément la substance même de la religion, entendue à la fois comme connaissance et comme rencontre. Une notion de Dieu uniquement abstraite ne donne pas encore cette substance.

L’homme connaît Dieu dans la rencontre avec lui et, vice versa, il le rencontre en le connaissant. Il rencontre Dieu en s’ouvrant à lui, en lui faisant intérieurement le don de son « moi » humain, et en acceptant en échange le don de Dieu.

Au moment où ils se présentent devant l’Enfant qui est dans les bras de sa Mère, les rois mages, dans la lumière de l’Épiphanie, acceptent le don de Dieu incarné, son inexprimable abandon. En même temps, ils ouvrent leurs coffrets et ils lui offrent leurs présents. Il s’agit des présents concrets dont parle l’évangéliste, mais surtout ils s’ouvrent eux-mêmes à lui en lui ­faisant ­intérieurement le don de leur cœur.

St Jean-Paul II

Jean-Paul II, pape de 1978 à 2005, a été canonisé en 2014. / Audience générale, 24 janvier 1979, LEV.



24-25 décembre 2023 – NOËL

Éveille-toi

Homme, éveille-toi : pour toi, Dieu s’est fait homme. Réveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera. Pour toi, je le répète, Dieu s’est fait homme.
Tu serais mort pour l’éternité, s’il n’était né dans le temps. Tu n’aurais jamais été libéré de la chair du péché, s’il n’avait pris la ressemblance du péché. Tu serais victime d’une misère sans fin, s’il ne t’avait fait cette miséricorde. Tu n’aurais pas retrouvé la vie, s’il n’avait pas rejoint ta mort. Tu aurais succombé, s’il n’était allé à ton secours. Tu aurais péri, s’il n’était pas venu.
Célébrons dans la joie l’avènement de notre salut et de notre rédemption. Célébrons le jour de fête où, venant du grand jour de l’éternité, un grand jour éternel s’introduit dans notre jour temporel et si bref.
C’est lui qui est devenu pour nous justice, sanctification, rédemption. Ainsi, comme il est écrit : Celui qui veut se glorifier, qu’il mette sa gloire dans le Seigneur. ~ Donc, la Vérité a germé de la terre : le Christ, qui a dit : Moi, je suis la Vérité, est né de la Vierge. Et du ciel s’est penchée la justice, parce que, lorsque l’homme croit en celui qui vient de naître, il reçoit la justice, non pas de lui-même, mais de Dieu.
La Vérité a germé de la terre, parce que le Verbe s’est fait chair. Et du ciel s’est penchée la justice, parce que les présents les meilleurs, les dons parfaits, proviennent tous d’en haut.
La Vérité a germé de la terre : la chair est née de Marie. Et du ciel s’est penchée la justice, parce qu’un homme ne peut rien s’attribuer, sinon ce qui lui est donné du Ciel.~
Nous qui sommes devenus justes par la foi, nous voici en paix avec Dieu parce que justice et paix se sont embrassées. Par notre Seigneur Jésus Christ : car la Vérité a germé de la terre. C’est lui qui nous a donné, par la foi, l’accès à cette grâce dans laquelle nous sommes établis ; et nous mettons notre fierté dans l’espérance d’avoir part à la gloire de Dieu. Paul ne dit pas : « à notre gloire » ; mais à la gloire de Dieu parce que la justice n’est pas sortie de nous mais s’est penchée du ciel. Donc, celui qui cherche la gloire, qu’il mette sa gloire non en lui, mais dans le Seigneur.
De là vient que la louange angélique pour le Seigneur né de la Vierge a été : Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes comblés de sa bienveillance.
En effet, d’où vient la paix sur la terre, sinon de ce que la Vérité a germé de la terre, autrement dit, que le Christ est né de la chair ? Et c’est lui qui est notre paix : des deux, il a fait une seule réalité, pour que nous soyons des hommes pleins de bienveillance, tendrement attachés les uns aux autres par le lien de l’unité.
En ce jour de grâce, réjouissons-nous, pour trouver notre gloire dans le témoignage de notre conscience ; alors, ce n’est pas en nous, mais en Dieu que nous mettrons notre gloire. C’est pour cela qu’il est dit : Ma gloire, tu tiens haute ma tête. Dieu pouvait-il faire briller sur nous une grâce plus grande que celle-ci : son Fils unique, il en fait un fils d’homme et, en retour, il transforme des fils d’hommes en fils de Dieu ?
Cherche où est le mérite, où est le motif, où est la justice, et vois si tu découvres autre chose que la grâce.

Sermon de Saint Augustin pour Noël

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Honore la petite Bethléem, qui t’a conduit au ciel

Il faut que je sois enseveli avec le Christ, que je ressuscite avec lui, que j’hérite avec lui du ciel, que je devienne fils de Dieu. Voilà ce qu’est pour nous le grand mystère, voilà ce qu’est pour nous le Dieu incarné, devenu pauvre pour nous. Il est venu relever la chair, sauver son image, réparer l’homme. Il est venu nous faire parfaitement un dans le Christ, dans le Christ qui est venu parfaitement et complètement en nous, pour mettre en nous tout ce qu’il est. Il n’y a plus ni juif ni païen, il n’y a plus ni esclave n homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme, caractéristiques de la chair : il n’y a plus que la divine image que nous portons tous en nous, selon laquelle nous avons été créés, qu’il faut former et imprimer en nous, si fort qu’elle suffise à nous faire connaître. Que de fêtes pour moi, en chacun des mystères du Christ ! Leur résumé à tous, c’est ma perfection, ma restauration, mon retour à l’innocence du premier Adam. Célèbre donc la nativité, qui a délié les liens de ta nativité ; honore la petite Bethléem, qui t’a conduit au ciel ; adore la crèche, par laquelle, privé de raison que tu étais, tu as été nourri par le Verbe. Cours avec l’étoile ; avec les mages, offre tes présents : l’or, l’encens, la myrrhe, au roi, au Dieu et à l’homme qui est mort pour toi. Glorifie Dieu avec les pasteurs ; avec les anges, chante des hymnes, et mêle-toi au chœur des archanges.

Saint Grégoire de Nazianze (330-390)

Evêque et docteur de l’Église. Oraison 7,23 ; 38,16-18 (Le corps mystique du Christ, E. Mersch, Desclée de Brouwer, 1936, p. 441-442)


Dimanche 17 décembre 2023

LETTRE DE SAINT LÉON LE GRAND
À L’IMPÉRATRICE PULCHÉRIE SUR L’INCARNATION

Le mystère de notre réconciliation

Il ne sert à rien de dire que notre Seigneur, fils de la Vierge Marie, est un homme véritable et parfait, si l’on ne croit pas qu’il est un homme de cette descendance que proclame l’Évangile.

Matthieu dit en effet : Livre des origines de Jésus Christ, fils de David, fils d’Abraham. Il suit donc l’ordre des naissances humaines, de façon à conduire la suite des générations jusqu’à Joseph, à qui la mère du Seigneur était promise en mariage.

Luc, au contraire, en remontant les degrés de succession revient au chef de file du genre humain, pour montrer que le premier Adam et le nouvel Adam ont la même nature.

Évidemment, la toute-puissance du Fils de Dieu aurait pu se manifester, pour l’instruction et la justification des hommes, de la même manière dont elle était apparue aux patriarches et aux prophètes : sous un aspect corporel ; ainsi lorsque cette toute-puissance engagea le combat avec Jacob, s’entretint avec Abraham et accepta son hospitalité ou même prit la nourriture qu’il lui offrait.

Mais de telles apparitions n’étaient que des signes de cet homme dont ces préfigurations symboliques annonçaient la réalité, réalité qu’il devait endosser en devenant le descendant de tels ancêtres.

Et c’est pourquoi aucune de ces figures ne pouvait accomplir le mystère de notre réconciliation, pourtant préparé de toute éternité. L’Esprit Saint n’était pas encore venu sur la Vierge, la puissance du Très-Haut ne l’avait pas encore prise sous son ombre. Il fallait cela pour que, dans ce sein immaculé où la Sagesse lui construisait une demeure, le Verbe se fît chair. Il le fallait pour que, la nature divine et la nature humaine se rencontrant dans une seule personne, le Créateur du temps naquît dans le temps ; pour que celui par qui tout a été fait fût engendré parmi toutes les créatures.

Car si l’homme nouveau, semblable à la chair du péché, n’avait pas assumé notre condition ancienne et dégradée, si celui qui est consubstantiel au Père n’avait pas daigné devenir consubstantiel à sa mère, si lui, seul indemne de tout péché, ne s’était pas uni à notre nature, l’humanité tout entière serait restée prisonnière sous l’esclavage du démon et nous n’aurions pu profiter de la victoire remportée par le Christ, parce que cette victoire aurait été obtenue en dehors de notre nature.

Le sacrement de notre régénération a brillé pour nous en vertu de cette participation étonnante à notre nature : si la conception et la naissance du Christ ont été opérées par l’Esprit, c’est en vertu du même Esprit que nous-mêmes pouvons renaître.

C’est pourquoi l’Évangéliste désigne les croyants comme ceux qui ne sont pas nés de la chair et du sang, ni d’une volonté charnelle, ni d’une volonté d’homme, mais qui sont nés de Dieu.

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Liturgie latine

Antiennes du Magnificat, 17-23 décembre (trad. Liturgie chorale du peuple de Dieu)

« Comme Jean-Baptiste voyait Jésus venir vers lui, il dit : ‘ C’est de lui que j’ai dit : derrière moi vient un homme qui a sa place devant moi, car avant moi il était ‘ » (Jn 1,29-30)

Ô Sagesse, sortie de la bouche du Très-Haut, toi qui embrasses l’univers et qui disposes toutes choses dans la force et la tendresse, viens, Seigneur, nous enseigner les chemins du salut. Ô Adonaï, guide et Seigneur de la maison d’Israël, toi qui as manifesté ton nom dans la flamme du buisson et qui as donné la loi sur la montagne, viens, Seigneur, nous racheter par la puissance de ton bras. Ô Rameau de la tige de Jessé, signe dressé pour tous les peuples, devant toi les rois se tiennent en silence et les peuples se prosternent, viens, Seigneur, libère nous, ne tarde plus. Ô Clef de David et sceptre de la maison d’Israël, toi qui ouvres et nul ne ferme, tu fermes et personne n’ouvrira ; viens, Seigneur, pour délivrer ceux qui habitent les ténèbres. Ô Soleil levant, splendeur de la lumière éternelle et soleil de justice, viens illuminer les ténèbres de ceux qui sont assis à l’ombre de la mort. Ô Roi des nations, désiré des peuples et des rois, pierre angulaire, qui des païens et d’Israël fait un seul peuple, viens sauver celui que tu as formé du limon de la terre. Ô Emmanuel, roi qui portes la loi nouvelle, espérance des nations et Sauveur de tous les peuples, toi notre Dieu, viens, ne tarde plus. 

(Références bibliques : Dt 8,3, Pr 8,22s, He 1,3 / Ex 3, Ex 20 / Is 11,10, 52,15 / Is 22,22, 42,7 / Ag 2,7Vlg, Ma 3,20 / Lc 10,24, Is 28,16, Ep 2,14, Gn 2,6 / Is 7,14)


Dimanche 10 décembre 2023

COMMENTAIRE D’EUSÈBE DE CÉSARÉE SUR ISAÏE

L’avènement au désert. La Bonne Nouvelle sur la montagne.

Voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits les sentiers de notre Dieu. Cette parole montre clairement que les événements prophétisés ne se produiront pas à Jérusalem, mais au désert ; c’est là que la gloire du Seigneur apparaîtra et que toute chair aura connaissance du salut de Dieu. Et c’est ce qui s’est accompli réellement et littéralement lorsque Jean Baptiste proclama dans le désert du Jourdain que le salut de Dieu se manifesterait, car c’est là que le salut de Dieu est apparu. En effet, le Christ avec sa gloire s’est fait connaître à tous : lorsqu’il eut été baptisé, le Saint-Esprit descendit sur lui sous la forme d’une colombe et y demeura ; et la voix du Père lui rendit témoignage : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le.

Le prophète parlait ainsi parce que Dieu devait résider dans le désert, qui est inaccessible au monde. Toutes les nations païennes étaient désertées par la connaissance de Dieu, et toutes étaient inaccessibles aux justes et aux prophètes de Dieu.

C’est pour cela que cette voix ordonne de préparer le chemin au Verbe de Dieu et de rendre unie la route inaccessible et raboteuse afin que notre Dieu, en venant résider chez nous, puisse y avancer. ~

Monte sur une haute montagne, toi qui portes la bonne nouvelle à Sion. Élève la voix avec force, toi qui portes la bonne nouvelle à Jérusalem. Ces paroles s’accordent tout à fait avec le sens de celles qui ont précédé, et elles ont raison de mentionner les évangélistes, les porteurs de la Bonne Nouvelle, car elles annoncent aux hommes la Bonne Nouvelle de l’avènement de Dieu, après avoir parlé de la voix qui crie dans le désert. En effet la parole concernant les évangélistes du Sauveur vient à la suite de la prophétie concernant Jean Baptiste.

Qui donc est cette Sion, sinon très certainement celle que les anciens appelaient Jérusalem ? En effet, c’était bien une montagne, comme le montre cette affirmation de l’Écriture : La montagne de Sion où tu fis ta demeure ; et l’Apôtre : Vous êtes venus vers la montagne de Sion. N’est-ce pas une façon de parler qui désigne le groupe des Apôtres, choisis dans le peuple ancien, dans le peuple de la circoncision ?

Telle est en effet Sion ou Jérusalem, qui a reçu en héritage le salut de Dieu et qui, elle-même, est située sur la hauteur, sur la montagne même de Dieu, c’est-à-dire sur le Verbe, son Fils unique : il lui ordonne de monter sur la haute montagne pour annoncer la bonne nouvelle du salut. Or, quel est celui qui annonce la bonne nouvelle, sinon le groupe des évangélistes ? Et qu’est-ce qu’évangéliser ? C’est proclamer à tous les hommes et, avant tous, aux cités de Juda, l’avènement du Christ sur la terre.

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Je suis la voix et le tonnerre

« Je suis, dit Jean, la voix et le tonnerre, celui qui mène l’Épouse à l’Époux, la lampe, le médiateur et le héraut, le prophète et l’apôtre, le trompette du don de la vie, celui qui aplanit un chemin sans obstacle, le baptiste d’un baptême vu charnellement, le précurseur d’un roi dont le marchepied est partout et dont le trône est soutenu par tous les éléments. Tous sont dans son escorte, mais nul n’a vu le visage de celui qu’ils escortent ni ne connaît ses traits. Tous tremblent en songeant à sa gloire, leur pensée est secouée par le tonnerre quand ils tentent de conjecturer son essence ou d’imaginer sa puissance. »

Loué soit donc Jean, le citoyen du désert ! Il canalise le Jourdain, il contemple la colombe à l’aile divine, il observe la nuée paternelle, il entend la voix qui a fait connaître la dignité du Fils, a manifesté la gloire du Verbe et a révélé la gloire du Fils unique (cf. Mt 3, 16-17). Loué soit Jean, le flûtiste de cet air auquel tous accourent. Qui, en effet, en l’entendant, ne se convertit pas, ne se dépêche pas de se laver, ne désire pas être purifié et ne porte pas sa cruche à la source pour y puiser, boire et se rafraîchir dans la fournaise ? Qui, en apprenant que le royaume des Cieux approche (cf. Mt 3, 2), ne désire pas précéder son frère et ne se hâte pas pour devancer son prochain ?

St Hésychius de Jérusalem, prêtre à Jérusalem dans la première moitié du ve siècle. / Homélie 16, 4-5, trad. M. Aubineau, Les Homélies festales d’Hésychius de Jérusalem, II, Subsidia Hagiographica 59, Bruxelles, 1980, p. 672-674.


Dimanche 3 décembre 2023

Comment se tenir prêt ?

Ne croyez pas que ce soit l’humilité qui m’empêche de reconnaître les dons du bon Dieu, je sais qu’Il a fait en moi de grandes choses et je le chante chaque jour avec bonheur. Je me souviens que celui-là doit aimer davantage à qui l’on a plus remis, aussi je tâche de faire que ma vie soit un acte d’amour et je ne m’inquiète plus d’être une petite âme, au contraire je m’en réjouis. Voilà pourquoi j’ose espérer que « mon exil sera court » mais ce n’est pas parce que je suis prête ; je sens que je ne le serai jamais si le Seigneur ne daigne me transformer Lui-même ; Il peut le faire en un instant ; après toutes les grâces dont Il m’a comblée j’attends encore celle-là de sa miséricorde infinie…

J’ai, dans mon enfance, rêvé de combattre sur les champs de bataille… Lorsque je commençais à apprendre l’histoire de France, le récit des exploits de Jeanne d’Arc me ravissait, je sentais en mon cœur le désir et le courage de l’imiter, il me semblait que le Seigneur me destinait aussi à de grandes choses. Je ne me trompais pas, mais au lieu de voix du Ciel m’invitant au combat, j’entendis au fond de mon âme une voix plus douce, plus forte encore, celle de l’Époux des vierges qui m’appelait à d’autres exploits, à des conquêtes plus glorieuses, et dans la solitude du Carmel j’ai compris que ma mission n’était pas de faire couronner un roi mortel mais de faire aimer le Roi du Ciel, de lui soumettre le royaume des cœurs.

Ste Thérèse de l’Enfant-Jésus de la Sainte-Face († 1897), entrée au Carmel à l’âge de 15 ans, y mourut à 24 ans de la tuberculose. Elle est docteur de l’Église. / Thérèse de Lisieux, Lettre à l’abbé Bellière, 25 avril 1897, LT 224

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CATÉCHÈSE PRÉBAPTISMALE DE SAINT CYRILLE DE JÉRUSALEM

Les deux avènements du Christ

Nous annonçons l’avènement du Christ : non pas un avènement seulement, mais aussi un second, qui est beaucoup plus beau que le premier. Celui-ci, en effet, comportait une signification de souffrance, et celui-là porte le diadème de la royauté divine.

Le plus souvent, en effet, tout ce qui concerne notre Seigneur Jésus Christ est double. Double naissance : l’une, de Dieu avant les siècles, l’autre, de la Vierge à la plénitude des siècles. Double descente : l’une, imperceptible comme celle de la pluie sur la toison, la seconde, éclatante, celle qui est à venir.

Dans le premier avènement, il est enveloppé de langes dans la crèche ; dans le second, il est revêtu de lumière comme d’un manteau. Dans le premier, il a subi la croix, ayant méprisé la honte ; dans le second, il viendra escorté par l’armée des anges, en triomphateur.

Nous ne nous arrêtons pas au premier avènement : nous attendons aussi le second. Comme nous avons dit, lors du premier : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, nous le répéterons encore pour le second ; en accourant avec les anges à la rencontre du Seigneur, nous lui dirons en l’adorant : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur.

Le Sauveur ne viendra pas pour être jugé de nouveau, mais pour juger ceux qui l’ont traduit en jugement. Lui qui a gardé le silence lors du premier jugement, il rappellera leur crime aux misérables qui ont osé le mettre en croix, en disant : Voilà ce que tu as fait, et j’ai gardé le silence. Alors il est venu selon le dessein de miséricorde et il enseignait les hommes par persuasion. Mais, lors du second avènement, ils seront contraints de reconnaître sa royauté.

Le prophète Malachie a parlé des deux avènements. Soudain viendra dans son Temple le Seigneur que vous cherchez. Voilà pour le premier.

Et aussitôt il ajoute pour le second : ~ Le messager de l’Alliance que vous désirez, voici qu’il vient, le Seigneur tout-puissant. Qui pourra soutenir sa vue ? Car il est pareil au feu du fondeur, pareil à la lessive des blanchisseurs. Il s’installera pour fondre et purifier. ~

Saint Paul veut parler aussi de ces deux avènements lorsqu’il écrit à Tite : La grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes. C’est elle qui nous apprend à rejeter le péché et les passions d’ici-bas, pour vivre dans le monde présent en hommes raisonnables, justes et religieux, et pour attendre le bonheur que nous espérons avoir quand se manifestera la gloire de Jésus Christ, notre grand Dieu et notre Sauveur. Tu vois comment il a parlé du premier avènement, dont il rend grâce ; et du second, que nous attendons. ~ Donc, notre Seigneur Jésus Christ viendra du ciel. Il viendra vers la fin de ce monde, avec gloire, au dernier jour. Car la fin du monde arrivera et ce monde créé sera renouvelé.


Dimanche 26 novembre 2023

TRAITÉ D’ORIGÉNE SUR LA PRIÈRE

« Que ton règne vienne »

Comme l’a dit notre Seigneur et Sauveur, le règne de Dieu vient sans qu’on puisse le remarquer. On ne dira pas : Le voilà, il est ici, ou bien : Il est là. Car voilà que le règne de Dieu est au-dedans de vous. Et en effet, elle est tout près de nous, cette Parole, elle est dans notre bouche et dans notre cœur. En ce cas, il est évident que celui qui prie pour que vienne le règne de Dieu a raison de prier pour que ce règne de Dieu germe, porte du fruit et s’accomplisse en lui. Chez tous les saints en lesquels Dieu règne et qui obéissent à ses ordres spirituels, il habite comme dans une cité bien organisée. Le Père est présent en lui et le Christ règne avec le Père dans cette âme parfaite, selon sa parole : Nous viendrons chez lui, nous irons demeurer auprès de lui.
Le règne de Dieu qui est en nous, alors que nous progressons toujours, parviendra à sa perfection lorsque la parole de l’Apôtre s’accomplira : le Christ, après avoir soumis ses ennemis, remettra son pouvoir royal à Dieu le Père afin que Dieu soit tout en tous. C’est pourquoi, priant sans cesse et avec des dispositions divinisées par le Verbe, nous disons : Notre Père qui es aux cieux, que ton nom soit sanctifié, que ton Règne vienne. 
À propos du règne de Dieu, il faut encore remarquer ceci : Comme il n’y a pas d’union entre la justice et l’impiété, entre la lumière et les ténèbres, entre le Christ et Bélial, le règne du péché est inconciliable avec le règne de Dieu. Si donc nous voulons que Dieu règne sur nous, que jamais le péché ne règne dans notre corps mortel. Mais faisons mourir nos membres qui appartiennent à la terre, et portons les fruits de l’Esprit. Ainsi, comme dans un paradis spirituel, le Seigneur se promènera en nous, régnant seul sur nous, avec son Christ. Celui-ci trônera en nous, à la droite de la puissance spirituelle, que nous désirons recevoir, jusqu’à ce que tous ses ennemis qui sont en nous deviennent l’escabeau de ses pieds, et que soit chassée loin de nous toute principauté, puissance et souveraineté.
Tout cela peut arriver en chacun de nous jusqu’à ce que soit détruit le dernier ennemi, la mort, et que le Christ dise en nous : Mort, où est ton dard venimeux ? Enfer, où est ta victoire ? Dès maintenant donc, que ce qui est périssable en nous devienne saint et impérissable ; que ce qui est mortel après la destruction, revête l’immortalité du Père. Ainsi Dieu régnera sur nous et nous serons déjà dans le bonheur de la nouvelle naissance et de la résurrection.

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Comment aller à la rencontre du Christ, Roi éternel ?

Comment entrerons-nous dans le royaume ? « J’ai eu faim, dit Jésus, et vous m’avez donné à manger » (Mt 25,35). Apprenez la route, Il n’y a pas ici à recourir à l’allégorie, mais à accomplir les paroles. « J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger ; soif et vous m’avez abreuvé ; j’étais étranger et vous m’avez accueilli ; nu, et vous m’avez vêtu ; malade et vous m’avez visité ; j’étais en prison et vous êtes venu à moi » (Mt 25,35-36). Si tu fais cela, tu auras ta part au royaume, mais si tu ne le fais pas, tu seras condamné. Déjà donc, commence à accomplir ces œuvres et persévère dans la foi. Prends garde d’avoir, comme les vierges folles à acheter l’huile et d’être forclos. Ne sois pas tranquille si tu as seulement la lampe en main, mais aussi garde-la allumée. Que la lumière des bonnes œuvres brille devant les hommes, et que le Christ ne soit pas blasphémé à cause de toi ! Porte un vêtement d’incorruption en te distinguant par les bonnes œuvres. Et ce que tu reçois de Dieu pour l’administrer avec sagesse, administre-le profitablement. On t’a confié la parole qui instruit ? administre-la bien. Tu peux convertir les âmes de tes auditeurs ? Fais-le avec soin. Nombreuses sont les portes d’une bonne administration ou gestion. Que nul de nous ne soit condamné et rejeté, pour qu’en toute confiance nous allions à la rencontre du Christ, Roi éternel qui règne dans les siècles. Car il règne dans les siècles, celui qui juge les vivants et les morts, et comme dit saint Paul : « Le Christ est mort et a revécu dans ce but : être le Seigneur des morts et des vivants » (Rm 14,9).

Saint Cyrille de Jérusalem (313-350), évêque de Jérusalem et docteur de l’Église. Catéchèse baptismale n°15,26 (Les catéchèses, coll. Les pères dans la foi n°53-54 ; trad. J. Bouvet ; éd. Migne 1993 : p. 250)


Dimanche 19 novembre 2023

Faire fructifier les dons de l’Esprit Saint

Voulant poursuivre également par le moyen des laïcs son témoignage et son service, le Christ Jésus, prêtre suprême et éternel, leur apporte la vie par son Esprit et les pousse inlassablement à réaliser tout bien et toute perfection. A ceux qu’il s’unit intimement dans sa vie et dans sa mission, il accorde, en outre, une part dans sa charge sacerdotale pour l’exercice du culte spirituel en vue de la glorification de Dieu et du salut des hommes. C’est pourquoi les laïcs reçoivent, en vertu de leur consécration au Christ et de l’onction de l’Esprit Saint, la vocation admirable et les moyens qui permettent à l’Esprit de produire en eux des fruits toujours plus abondants. En effet, toutes leurs activités, leurs prières et leurs entreprises apostoliques, leur vie conjugale et familiale, leurs labeurs quotidiens, leurs détentes d’esprit et de corps, s’ils sont vécus dans l’Esprit de Dieu, et même les épreuves de la vie, pourvu qu’elles soient patiemment supportées, tout cela devient « offrandes spirituelles, agréables à Dieu par Jésus Christ » (1P 2,5). Et dans la célébration eucharistique ces offrandes rejoignent l’oblation du Corps du Seigneur pour être offertes en toute piété au Père. C’est ainsi que les laïcs consacrent à Dieu le monde lui-même, rendant partout à Dieu dans la sainteté de leur vie un culte d’adoration.

Concile Vatican II Constitution sur l’Eglise, Lumen gentium §34

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La peur qui blesse l’Amour

Oser faire confiance à Dieu, à travers sa grâce, que tel soit bien le message de cette parabole, ce qui arriva au troisième serviteur le confirme. Avec lui, les choses se passèrent différemment. Et pourtant, en un sens, le troisième serviteur avait moins à craindre que les deux premiers. Il n’avait reçu qu’un seul talent. D’un seul talent cependant il était devenu comptable. Mais voilà que lui n’ose pas jouer le jeu de la confiance, qui, au fond, est le jeu de l’amour. Il est méfiant, il prend peur. La relation entre lui et son Maître a dû se gâter à un moment donné. Il n’est déjà plus le serviteur confiant, il est devenu esclave, terrorisé par avance, et l’idée ne lui viendrait même pas qu’au fond, en lui confiant une partie de ses biens, le Maître souhaitait secrètement faire de lui un ami.

D’ailleurs l’image qu’il s’est forgée de Dieu ne le lui permettrait guère. Elle est proprement horrible. Non seulement elle se montre injuste envers Dieu, mais elle se produit comme un véritable blasphème. Rien ne pourrait davantage peiner Dieu, et le paralyser même: « Tu es un homme dur, lui reproche-t-il. Tu moissonnes là où tu n’as pas semé, j’ai eu peur, et je suis allé enfouir ton talent dans la terre. » Quel aveu! le troisième serviteur a eu peur de Dieu. Il n’a pas osé croire en la grâce qui lui était faite. Alors que cette grâce se multiplie d’elle-même pour le cœur qui l’accueille en faisant confiance, elle est pour ainsi dire rendue stérile, inopérante, pour le cœur qui prend peur.

André Louf, o.c.s.o. († 2010). Il fut père abbé de l’abbaye du Mont-des-Cats, puis devint ermite en Provence. Il fut un grand maître spirituel. / Heureuse faiblesse. Homélies pour les dimanches de l’année A, Paris, DDB, 1998, p. 241-242.


Dimanche 12 novembre 2023

« Voici l’époux ! Sortez à sa rencontre »

Mon Dieu, mon très doux Soir, lorsque pour moi sera venu le soir de cette vie, fais-moi m’endormir doucement en toi, et expérimenter cet heureux repos que tu as préparé en toi à ceux qui te sont chers. Que le regard si paisible et gracieux de ta belle dilection, ordonne et dispose avec bonté les préparatifs de mes noces. Par l’opulence de ta bonté, couvre (…) la pauvreté de ma vie indigne ; dans les délices de ta charité que mon âme habite avec une extrême confiance. Ô amour, toi-même sois alors pour moi un soir si beau, que par toi mon âme avec joie et allégresse dise à mon corps un doux adieu et que mon esprit, retournant au Seigneur qui l’a donné, sous ton ombre suavement repose en paix. Alors tu me diras clairement (…) : « Voici venir l’Époux : sors maintenant et unis-toi à lui plus intimement, afin qu’il te réjouisse par la gloire de son visage. » (…)   Oh ! quand, quand te montreras-tu à moi, afin que je te voie et que je puise avec délices à cette source vive que tu es, ô Dieu ? (Is 12,3) Alors je boirai, je m’enivrerai dans l’abondance de la douceur de cette source vive, qui sourd des délices de la face (…) de celui que désire mon âme (Ps 41,3). Ô douce face, quand me combleras-tu de toi ? Alors j’entrerai dans le sanctuaire admirable, jusqu’à la vue de Dieu (Ps 41,5) ; je ne suis qu’à l’entrée, et mon cœur gémit de la longueur de mon exil. Quand me combleras-tu de joie par ta douce face ? (Ps 15,11) Alors je contemplerai et embrasserai le véritable Époux de mon âme, mon Jésus. (…) Là je connaîtrai comme je suis connue (1Co 13,12), j’aimerai comme je suis aimée ; ainsi je te verrai, mon Dieu, tel que tu es (1Jn 3,2), en ta vision, ta jouissance et ta possession bienheureuse à jamais.

Sainte Gertrude d’Helfta (1256-1301) moniale bénédictine Les Exercices, n°5 ; SC 127 (Œuvres spirituelles; trad. J. Hourlier et A. Schmitt; Éd. du Cerf, 1967; p. 175-179; rev.)

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Le retour de l’Époux ressuscité

Ah ! je ne suis plus tout seul,
maintenant il y a quelqu’un dans l’azur !
Il y a cet être tout blanc dans le ciel enveloppé
de la robe sans couture !

À la place de cette nuit crasse
et de ce brouillard informe,
Il y a cet être immaculé dans l’azur
qui fait un geste énorme !

C’est fini derrière moi de la route,
c’est fini de l’apprentissage et du bagne.
Ce qui a lieu pour moi dans l’azur,
aujourd’hui je posséderai la Montagne !

Tu sais que rien n’existe plus et que je T’appartiens !
Voici le diadème formidable au-dessus
de tous les chrétiens.

Quelque chose me souffle à la face,
je respire ce souffle frais !
Le moment est venu de partir,
je ne reviendrai plus jamais !

Les six jours affreux sont finis,
mais aujourd’hui c’est dimanche !
Je vais m’ensevelir pour toujours
dans les plis de cette robe blanche !

Paul Claudel – († 1955). Il a été très influencé par Rimbaud. Son œuvre est également marquée par la foi catholique, dont il a reçu la révélation en 1886, le jour de Noël. Élu à l’Académie française en 1946, il a consacré le reste de sa vie à l’étude de textes bibliques. / Poésie, Paris, Gallimard, « Poésie », 1970, p. 143-144.


Dimanche 5 novembre 2023

Quelle touchante trouvaille de l’Esprit !

Pierre : qu’il soit tombé, que par la permission de Dieu il ait renié son Maître, quelle belle chose encore, quelle touchante trouvaille de l’Esprit de Sagesse ! Car Pierre était désigné d’avance pour être le Prince des Apôtres. Grand honneur, sublime élévation ! Mais l’auteur même de cet honneur et de cette élévation a dit : « Que le plus grand d’entre vous devienne comme le plus jeune, et le chef, comme celui qui sert » (Lc 22, 26 ; cf. Mt 23, 11) Il a grand soin de former à la clémence ces grands, ou mieux ces serviteurs, comme on le voit clairement dans son propre comportement, si humble, et dans son enseignement en paraboles. Mais d’où et comment un homme placé au faîte des honneurs, et ayant une haute conscience de son caractère sacré, saurait-il condescendre aux petits, compatir avec les malheureux ? Dieu seul est humble par nature ; ou plutôt il est l’humilité, la miséricorde même. Un homme humble ou miséricordieux ne l’est que par accident. Il fallait que l’Apôtre Pierre, prédestiné et appelé à une telle élévation, eût, avant de recevoir tant d’honneurs, une raison majeure et définitive, de connaître une fois pour toutes l’humilité et la compassion. C’est pour cela que Dieu permit qu’il tombât, c’est pour cela qu’il fut laissé à lui-même jusqu’à un triple reniement. Spectacle merveilleux, donné par la Sagesse divine !

En vérité, c’est sur les humbles que le Seigneur a posé le monde (cf. 1 S 2, 8).

Rupert de DeutzMoine bénédictin et théologien, Rupert († 1129) fut abbé de Deutz près de Cologne. / Les Œuvres du Saint-Esprit, II, 29, trad. E. de Solms, Paris, Cerf, 1967, Sources Chrétiennes 131, p. 293-294.

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« Le principe de tout péché, c’est l’orgueil. » (Si 10,15)

« Que la mort aînée dévore la beauté de sa peau et qu’elle consume ses bras. » (Jb 18,13 Vg) La beauté de la peau désigne la gloire temporelle, qui est désirée extérieurement et qui est retenue comme une brillante apparence sur la peau. Quand au mot de bras, il s’applique avec justesse à nos œuvres, le travail corporel étant accompli par les bras. Et que peut être la mort, sinon le péché, qui sépare l’âme de la vie intérieure et la tue ? (…) Si donc le péché est la mort, on peut entendre avec justesse par mort aînée l’orgueil, puisqu’il est écrit : « Le principe de tout péché, c’est l’orgueil. » (Si 10,15 Vg) La beauté de sa peau et ses bras sont donc dévorés par la mort aînée, car gloire et activité de l’injuste sont jetés à terre par l’orgueil. Il aurait pu, en cette vie même, se maintenir dans sa gloire sans péché s’il n’avait pas été orgueilleux ; il aurait pu se recommander au jugement de son créateur par certaines de ses œuvres si sous les yeux de son juge ces œuvres mêmes n’étaient pas jetées à terre par sa fierté. Souvent, nous voyons des riches qui auraient pu garder puissance et gloire sans péché, s’ils avaient voulu les garder avec humilité. Mais ils se rengorgent au milieu de leurs biens, ils plastronnent dans les honneurs, ils ne sont que dédain pour le reste du monde et ils mettent toute la confiance de leur vie dans l’abondance des biens. C’est ainsi que parlait un riche : « Mon âme, tu as beaucoup de biens en réserve pour plusieurs années, repose-toi, mange, bois, fais bonne chère. » (Lc 12,19) Mais quand le juge d’en-haut voit ainsi leurs pensées, il arrache ces hommes à leur confiance même.

Saint Grégoire le Grand (v. 540-604) – pape et docteur de l’Église, Livre XIV, SC 212 (Morales sur Job, trad. A. Bocognano, éd. du Cerf, 1974 ; p. 345-347)


Dimanches 22 et 29 octobre 2023

Les saints : des chercheurs de Dieu infatigables !

Les saints font cortège au Christ (…), et quand nous louons leurs vertus et chantons leurs mérites, nous exaltons et célébrons Celui qui, étant leur chef, est aussi, à présent, leur couronne (…). Il existe, entre ces saints, une grande variété ; chacun, selon sa vocation, et « la mesure de la grâce du Christ qui lui a été octroyée » (cf. Ep 4,7), a reproduit un des aspects de la plénitude des perfections de l’Homme-Dieu. Un même esprit, dit S. Paul (cf. 1 Co 12,4), a donné à chacun une grâce spéciale, qui, se greffant sur la nature, fait resplendir chacun des élus d’un éclat particulier. Chez les uns, la force a dominé ; chez les autres, la prudence ; chez d’autres encore, le zèle pour la gloire de Dieu ; celui-ci a particulièrement brillé par la foi, celui-là, par la pureté. Mais qu’ils soient apôtres, martyrs ou pontifes, qu’il s’agisse de vierges ou de confesseurs, un caractère commun se retrouve en eux tous. Quel est ce caractère ? La stabilité dans la recherche et l’amour de Dieu. Quelles que soient les circonstances où ils se sont trouvés, les tentations par lesquelles ils ont été ballottés, les difficultés qu’ils ont rencontrées, les séductions dont ils ont été entourés, les saints sont tous demeurés stables et fidèles. Et c’est là une grande vertu, car l’inconstance est un des périls les plus redoutables qui menacent l’homme. Les saints ont cherché Dieu infatigablement, quelles que fussent l’aridité du chemin, la sécheresse du ciel, les luttes à soutenir ; aussi, au jour de leur entrée dans le Royaume éternel, Dieu les a-t-il couronnés de gloire et enivrés de joie. (…) Parce que, dans la recherche du Bien unique, ils ne se sont pas laissé détourner, les saints sont parvenus au terme glorieux.

Bienheureux Columba Marmion (1858-1923), abbé – L’oraison monastique (Le Christ Idéal du Moine, éd. DDB, 1936 ; p. 451-452 ; rev.)

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Dans la communion des saints

Pourquoi notre louange à l’égard des saints, pourquoi notre chant à leur gloire, pourquoi cette fête même que nous célébrons ? Que leur font ces honneurs terrestres, alors que le Père du ciel, en réalisant la promesse du Fils, les honore lui-même ? De nos honneurs les saints n’ont pas besoin, et rien dans notre culte ne peut leur être utile. De fait, si nous vénérons leur mémoire, c’est pour nous que cela importe, non pour eux. ~ Pour ma part, je l’avoue, je sens que leur souvenir allume en moi un violent désir. ~
Le premier désir, en effet, que la mémoire des saints éveille, ou plus encore stimule en nous, le voici : nous réjouir dans leur communion tellement désirable et obtenir d’être concitoyens et compagnons des esprits bienheureux, d’être mêlés à l’assemblée des patriarches, à la troupe des prophètes, au groupe des Apôtres, à la foule immense des martyrs, à la communauté des confesseurs, au chœur des vierges, bref d’être associés à la joie et à la communion de tous les saints. Cette Église des premiers-nés nous attend, et nous n’en aurions cure ! Les saints nous désirent et nous n’en ferions aucun cas ! Les justes nous espèrent et nous nous déroberions !
Réveillons-nous enfin, frères ; ressuscitons avec le Christ, cherchons les réalités d’en haut ; ces réalités, savourons-les. Désirons ceux qui nous désirent, courons vers ceux qui nous attendent, et puisqu’ils comptent sur nous, accourons avec nos désirs spirituels. ~ Ce qu’il nous faut souhaiter, ce n’est pas seulement la compagnie des saints, mais leur bonheur, si bien qu’en désirant leur présence, nous ayons l’ambition aussi de partager leur gloire, avec toute l’ardeur et les efforts que cela suppose. Car cette ambition-là n’a rien de mauvais : nul danger à se passionner pour une telle gloire. ~
Et voici le second désir dont la commémoration des saints nous embrase : voir, comme eux, le Christ nous apparaître, lui qui est notre vie, et paraître, nous aussi, avec lui dans la gloire. Jusque-là, il ne se présente pas à nous comme il est en lui-même, mais tel qu’il s’est fait pour nous : notre Tête, non pas couronnée de gloire, mais ceinte par les épines de nos péchés. ~ Il serait honteux que, sous cette tête couronnée d’épines, un membre choisisse une vie facile, car toute la pourpre qui le couvre doit être encore non pas tant celle de l’honneur que celle de la dérision. Viendra le jour de l’avènement du Christ : alors on n’annoncera plus sa mort de manière à nous faire savoir que nous aussi sommes morts et que notre vie est cachée avec lui. La Tête apparaîtra dans la gloire, et avec elle les membres resplendiront de gloire, lorsque le Christ restaurera notre corps d’humilité pour le configurer à la gloire de la Tête, puisque c’est lui la Tête.
Cette gloire, il nous faut la convoiter d’une absolue et ferme ambition. ~ Et vraiment, pour qu’il nous soit permis de l’espérer, et d’aspirer à un tel bonheur, il nous faut rechercher aussi, avec le plus grand soin, l’aide et la prière des saints, afin que leur intercession nous obtienne ce qui demeure hors de nos propres possibilités.

Saint BernardHomélie pour la Toussaint


Dimanche 15 octobre 2023

À la table du bonheur

La Bible nous dit, somme toute, bien peu de choses concrètes du paradis. Le programme des activités proposées là-haut, en particulier, n’est pas très clair, à une exception toutefois : il y aura de quoi manger, et en abondance. Le prophète Isaïe déploie l’image grandiose d’un festin, que Jésus reprendra à son tour, en la précisant : il s’agira, dans l’Évangile, d’un festin de noces. Rien que pour cela, le programme est alléchant.

Mais quand on fréquente les mariages, on s’aperçoit vite qu’il y a deux sortes d’invités : ceux qui viennent pour le repas, pour le vin servi généreusement, pour le gâteau des mariés, pour les petits fours de l’apéritif ; et ceux qui viennent pour les mariés. Les deux sortes se réjouissent, bien sûr, mais ce n’est pas exactement la même joie.

Et quand nous cherchons Dieu, que cherchons-nous au fond ? Les biens qu’il peut nous donner, comme une certaine sécurité, ou une grande paix intérieure, ou la solution de tel souci qui nous tourmente ? Ou bien Dieu lui-même, pour lui-même ? Chercher Dieu pour Dieu, ce n’est pas renoncer à vivre ou fuir les petites choses du quotidien : c’est au contraire affronter notre vie parce que l’essentiel et l’accessoire, l’essentiel et l’urgent ne sont plus confondus. C’est mettre chaque chose à sa place…

C’est aussi découvrir que notre Dieu est une nourriture qui, mieux que tous les fast-foods de notre vie qui prétendent assouvir nos désirs, rassasie solidement notre faim de bonheur.

Adrien Candiard, o.p. (né en 1982), dominicain, membre de l’Institut dominicain d’études orientales, vit au couvent du Caire , dont il est le prieur. / Signe dans la Bible 1, Paris, Cerf, 2015, p. 193.

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Les noces du Fils de Dieu

Le Christ nous dit : « Le royaume de Dieu est semblable à un roi qui célèbre les noces de son fils » (Mt 22, 2). Ce roi, ce fils, qui représentent-ils ? Qui sont les convives de ce festin nuptial ? Y a-t-il un mystère sous cette allégorie ? D’après les docteurs de l’Église, le roi est le Père céleste. Lorsque, pour racheter le monde, le Père décrète l’incarnation du Verbe, il prépare, en raison même de l’union de la nature humaine à la personne divine, une merveilleuse fête nuptiale. L’incarnation du Verbe est nuptiale, parce qu’en recevant l’humanité sainte comme sienne, le Fils de Dieu en a fait son épouse. Au sens le plus élevé, ce furent déjà là les « noces de l’Agneau » (Ap 19, 7). (…) Pour le Christ, s’unir à son Église, c’est avant tout s’unir à chaque âme par la grâce sanctifiante et la charité. Saint Paul n’écrivait-il pas aux Corinthiens : « Je vous ai présentés au Christ comme de chastes épouses » (2 Co 11, 2) ? (…) Le roi avait invité de nombreux convives à prendre part au festin, et tous se sont excusés. Alors, il envoya ses serviteurs aux carrefours pour appeler jusqu’aux plus pauvres gens à l’abondant banquet qu’il avait préparé. La salle du festin s’ouvre ainsi aux humbles, aux infirmes, voire aux estropiés. Cette foule, de qui est-elle la figure ? (…) Nous voyons en elle le peuple chrétien appelé par la munificence divine au banquet eucharistique. Ceux qui communient aux mystères sacrés bénéficient de l’union d’amour réservée aux convives du festin ; le Christ prend possession de leurs âmes et eux, à leur tour, le possèdent dans la foi et la charité. Cette union imite de quelque manière celle de l’Humanité sainte avec le Verbe ; elle est elle-même le modèle de tous les rapports d’intimité et d’amour entre la créature et son Dieu. C’est à cette hauteur de vie surnaturelle que nous sommes tous conviés.

Bienheureux Columba Marmion (1858-1923) Abbé, Le festin eucharistique (Le Christ idéal du prêtre; Éd. de Maredsous, 1951, p. 225-226; rev.)


Dimanche 8 octobre 2023

« C’est là l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux ! » (Mt 21,42)

Dieu créa l’homme. Il tira son corps de la matière qu’il avait produite et il l’anima de son propre souffle que l’Écriture appelle âme pensante et image de Dieu. (…) Il plaça l’homme sur la terre pour veiller sur la création visible, être initié au mystère spirituel, régner sur les choses de la terre et être soumis au Royaume d’en haut. (…) Mais l’homme négligea d’obéir et fut dès lors, à cause de son péché, séparé de l’arbre de vie, du paradis et de Dieu. Son état réclamait le plus puissant secours, et il lui fut accordé. (…) Quelle est cette abondance de bonté ? Quel est ce mystère qui me concerne ? J’avais reçu l’image et je ne l’ai pas gardée ; et Lui reçoit ma chair pour sauver cette image et rendre la chair immortelle. Il offre un second partage beaucoup plus étonnant que le premier. Alors il avait partagé ce qu’il avait de plus haut, maintenant il vient prendre part à ce qu’il y a de plus faible. Ce dernier geste est encore plus divin que le premier, encore plus sublime pour ceux qui en ont l’intelligence.

Saint Grégoire de Nazianze (330-390), évêque et docteur de l’ÉgliseDiscours 45 pour la sainte Pâques, 7-9 : PG 36, 631-635 (in “Lectures chrétiennes pour notre temps”, fiche B6; trad. Orval; © 1971 Abbaye d’Orval)

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Une bonne idée !

La parabole de Matthieu a inspiré la version suivante à Hermas, auteur au IIe siècle d’un ouvrage intitulé Le Pasteur :

Quelqu’un avait une terre et beaucoup d’esclaves. Dans une partie de sa terre, il planta une vigne. Il choisit un esclave très fidèle qui lui plaisait et, sur le point de partir à l’étranger, il l’appela et lui dit : « Charge-toi de cette vigne que j’ai plantée, entoure-la d’une clôture pendant mon absence, mais n’y fais rien autre. Observe cet ordre et tu seras libre chez moi. » Le maître de l’esclave partit pour l’étranger. Après son départ, l’esclave s’occupa et entoura la vigne d’une clôture ; mais la clôture achevée, il s’aperçut que la vigne était pleine d’herbes. Décidé, il bêcha la vigne et arracha toutes les herbes qui s’y trouvaient. Et la vigne devint très belle et florissante, sans les herbes qui l’étouffaient.

Après un certain temps revint le maître de l’esclave et de la terre ; il alla à son vignoble, il le vit clôturé convenablement et en plus, bêché et débarrassé de toutes les herbes, et les vignes florissantes : il se réjouit fort des travaux de l’esclave. Et il dit : « J’ai promis la liberté à cet esclave, s’il exécutait l’ordre que je lui avais donné. Il l’a exécuté et en plus, il a bien travaillé la vigne et par là, il m’a plu singulièrement. Aussi, en récompense de ce travail qu’il a fourni, je veux le faire cohéritier de mon fils, parce qu’il a eu une bonne idée et que, loin de l’écarter, il l’a réalisée. »

Hermas il était sans doute un Romain. Vers le milieu du IIe siècle, il a composé un ouvrage, intitulé Le Pasteur, qui, dans l’Antiquité, a été compté parmi les Écritures. / Le Pasteur, Similitude V, 2, trad. R. Joly, Paris, Cerf, 1968, Sources Chrétiennes 53 bis, p. 227-229.


Dimanche 1er octobre 2023

« Les publicains et les prostituées vous précèdent dans le Royaume de Dieu »

Les portes sont ouvertes à chaque personne qui se tourne sincèrement vers Dieu, de tout son cœur, et le Père reçoit avec joie un enfant qui se repent vraiment. Quel est le signe du vrai repentir ? Ne plus retomber dans les vieilles fautes et arracher de ton cœur, par leurs racines, les péchés qui te mettaient en danger de mort. Une fois qu’ils auront été effacés, Dieu reviendra habiter en toi. Car, comme dit l’Écriture, un pécheur qui se convertit et se repent procurera au Père et aux anges du ciel une joie immense et incomparable (Lc 15,10). Voilà pourquoi le Seigneur s’est écrié : « C’est la miséricorde que je désire, et non le sacrifice » (Os 6,6; Mt 9,13). « Je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse » (Ez 33,11) ; « Si vos péchés sont comme la laine écarlate, ils deviendront blancs comme la neige ; s’ils sont plus noirs que la nuit, je les laverai, si bien qu’ils deviendront comme la laine blanche » (Is 1,18). Dieu seul, en effet, peut remettre les péchés et ne pas imputer les fautes, alors que le Seigneur Jésus nous exhorte à pardonner chaque jour à nos frères qui se repentent. Et si nous, qui sommes mauvais, nous savons donner de bonnes choses aux autres (Mt 7,11), combien plus « le Père plein de tendresse » (2Co 1,3) le fera-t-il ! Le Père de toute consolation, qui est bon, plein de compassion, de miséricorde et de patience par nature, attend ceux qui se convertissent. Et la conversion véritable suppose que l’on cesse de pécher et que l’on ne regarde plus en arrière. (…) Regrettons donc amèrement nos fautes passées et prions le Père pour qu’il les oublie. Il peut, dans sa miséricorde, défaire ce qui a été fait et, par la rosée de l’Esprit, effacer nos méfaits passés.

Saint Clément d’Alexandrie (150-v. 215), théologien. Homélie « Quel riche sera sauvé ? », 39-40 (in Les Pères commentent l’Évangile; Collection liturgique Mysteria sous la direction de Henri Delhougne; trad. R. Pirlot; Éd. Brepols 1991, p. 141 rev.)

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S’étant repenti, il y alla

Vivre d’Amour, c’est bannir toute crainte
Tout souvenir des fautes du passé.
De mes péchés je ne vois nulle empreinte,
En un instant l’amour a tout brûlé…
Flamme divine, ô très douce Fournaise !
En ton foyer je fixe mon séjour
C’est en tes feux que je chante à mon aise :
« Je vis d’Amour ! »

Vivre d’Amour, c’est garder en soi-même
Un grand trésor en un vase mortel.
Mon Bien-Aimé, ma faiblesse est extrême
Ah ! Je suis loin d’être un ange du ciel !…
Mais si je tombe à chaque heure qui passe
Me relevant tu viens à mon secours,
À chaque instant tu me donnes ta grâce :
« Je vis d’Amour ! »

« Vivre d’Amour, quelle étrange folie ! »
Me dit le monde, « Ah ! Cessez de chanter,
Ne perdez pas vos parfums, votre vie,
Utilement sachez les employer !… »
T’aimer, Jésus, quelle perte féconde !…
Tous mes parfums sont à toi sans retour,
Je veux chanter en sortant de ce monde :
« Je meurs d’Amour ! »

Ste Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte-Face, († 1897), entrée au Carmel à l’âge
de 15 ans, y mourut à 24 ans de la tuberculose. Elle est docteur de l’Église. / Poésie « Vivre d’amour », 26 février 1895, Pn 17, Archives du carmel de Lisieux.


Dimanche 24 septembre 2023

« N’ai-je pas le droit de disposer de mes biens comme il me plaît ? »

Ces hommes étaient prêts à travailler mais « personne ne les avait embauchés » ; ils étaient laborieux, mais oisifs par manque de travail et de patron. Ensuite, une voix les a embauchés, une parole les a mis en route et, dans leur zèle, ils n’ont pas convenu d’avance du prix de leur travail comme les premiers. Le maître a évalué leurs travaux avec sagesse et les a payés autant que les autres. Notre Seigneur a prononcé cette parabole pour que personne ne dise : « Puisque je n’ai pas été appelé pendant ma jeunesse, je ne peux pas être reçu. » Il a montré que, quel que soit le moment de sa conversion, tout homme est accueilli… « Il sortit le matin, à la troisième, à la sixième, à la neuvième et à la onzième heure » : on peut comprendre cela du début de sa prédication, puis du cours de sa vie jusqu’à la croix, parce que c’est « à la onzième heure » que le larron est entré dans le Paradis (Lc 23,43). Pour qu’on n’incrimine pas le larron, notre Seigneur affirme sa bonne volonté ; si on l’avait embauché, il aurait travaillé, mais «personne ne nous a embauchés. »       Ce que nous donnons à Dieu est bien indigne de lui, et ce qu’il nous donne bien au-delà de ce que nous méritons. On nous embauche pour un travail proportionné à nos forces, mais on nous propose un salaire tout à fait disproportionné… Il agit de la même façon envers les premiers et les derniers ; « ils reçurent chacun une pièce d’argent » portant l’image du Roi. Tout cela signifie le pain de la vie (Jn 6,35), qui est le même pour tous ; le remède qui donne la vie est le même pour tous ceux qui le prennent.       Dans le travail de la vigne, on ne peut pas reprocher au maître sa bonté, et on ne trouve rien à redire de sa droiture. Dans sa droiture, il a donné comme il avait convenu, et dans sa bonté, il s’est montré miséricordieux comme il l’a voulu. C’est pour enseigner cela que notre Seigneur a prononcé cette parabole, et il a résumé tout cela par ces mots : « N’ai-je pas le droit de faire ce que je veux dans ma maison ? »

Saint Éphrem (v. 306-373), diacre en Syrie, docteur de l’Église. Commentaire de l’Évangile concordant, 15, 15-17; SC 121 (trad. L. Leloir; Éd. du Cerf 1966; p. 273 rev.)

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Chacun reçoit la même chose : la vie

Les laborieux, oisifs par manque de travail et de patron, une voix les a embauchés, une parole les a mis en train ; et, dans leur zèle, ils ne sont pas convenus d’avance du prix de leur travail, comme les premiers. Il a évalué leurs travaux avec sagesse, et il les a payés autant que les autres. Il a prononcé cette parabole pour que personne ne dise : « Puisque je n’ai pas été appelé pendant ma jeunesse, je ne puis être reçu. » Il a montré que, quel que soit le moment de sa conversion, l’homme est agréé. Et il n’a pas commencé par les premiers, trop assurés de leur salaire ; mais afin que les derniers ne pensent pas qu’ils allaient moins recevoir, il a commencé par eux.

Et il agit de même envers les premiers et les derniers, et ils reçurent l’image du Roi, chacun un denier : tout cela signifie le pain de vie qui est le même pour tout homme ; unique est le remède de vie pour ceux qui le prennent.

La parabole regarde autant les temps présents que la fin du monde. Qui, sinon Dieu, a accordé aux justes plus récents la vie bénie des premiers justes, dont ils n’ont pourtant pas eu les travaux ? Parmi ceux qui ont été embauchés le matin, n’y a-t-il pas de jeunes enfants qui sont morts ? Et Abel, avant eux, est mort jeune ; murmure-t-il pour autant au sujet de Seth qui l’a remplacé (cf. Gn 4, 25) ?

St Éphrem de Nisibe († 373), diacre en Turquie et docteur de l’Église, fut surnommé la « harpe du Saint-Esprit » en raison de la beauté de ses poèmes composés en syriaque. / Commentaire sur l’Évangile concordant ou Diatessaron XV, 15-17, trad. L. Leloir, Paris, Cerf, 1966, Sources Chrétiennes 121, p. 273-275.


Dimanche 17 septembre 2023

Le pardon, un long apprentissage

Pierre pense être généreux : sept fois est un chiffre d’or indépassable, semble-t-il ! Disons avec humour que dans ces moments difficiles, compter jusqu’à sept est presque un record !

Cependant nous sommes dans l’addition : on compte… Jésus change d’ordre : il donne un chiffre incalculable pratiquement : il va jusqu’à « soixante-dix-sept fois » ; il passe même à la multiplication : certaines traductions donnent « jusqu’à soixante-dix fois sept fois », ce qui invite à pardonner quatre cent quatre-vingt-dix fois… Pierre pensait avoir une miséricorde large ; celle de Jésus est infinie. La question est claire : Y a-t-il une limite au pardon ? Jésus n’en met aucune.

Quel est le problème ? Il est de compter les fautes de nos frères, de les additionner. Compter, c’est mesurer l’autre, c’est en prendre possession, c’est l’obliger à passer par nos vues, c’est le juger. C’est une manière de l’étouffer et de le tuer.

Jésus nous invite à ne pas compter nos pardons, à entrer dans une miséricorde infinie, celle de son Père. Le Père pardonne toujours, sinon il ne serait pas le Père. Qu’est-ce qu’un amour qui a des bornes ? Le pardon de Dieu n’est pas arrêté, car il est fruit d’un amour qui fait la vérité, il est fruit d’un amour qui tend la main pour relever, comme le père de l’enfant prodigue. Entrer dans la miséricorde de Dieu n’est donc pas regarder tout comme sans importance. Au contraire, plus l’amour de Dieu nous habite, plus nous pouvons affronter les ténèbres.

Paul-Dominique Marcovits, o.p. – (né en 1942) dominicain, a prêché de nombreuses retraites et a été aumônier général des équipes Notre-Dame. / Maître, explique-nous ! Question des disciples à Jésus, Paris, Le Cerf, 2005, p. 43-44.

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« Ne devais-tu pas, à ton tour, avoir pitié de ton compagnon ? »

L’Église doit considérer comme un de ses principaux devoirs – à chaque étape de l’histoire, et spécialement à l’époque contemporaine – de proclamer et d’introduire dans la vie le mystère de la miséricorde, révélé à son plus haut degré en Jésus Christ. Ce mystère est, non seulement pour l’Église elle-même comme communauté des croyants, mais aussi en un certain sens pour tous les hommes, source d’une vie différente de celle qu’est capable de construire l’homme exposé aux forces tyranniques de la concupiscence qui sont à l’œuvre en lui. Et c’est au nom de ce mystère que le Christ nous enseigne à toujours pardonner. Combien de fois répétons-nous les paroles de la prière que lui-même nous a enseignée, en demandant : « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés » (Mt 6,12), c’est-à-dire à ceux qui sont coupables à notre égard. Il est vraiment difficile d’exprimer la valeur profonde de l’attitude que de telles paroles définissent et inculquent. Que ne révèlent-elles pas à tout homme, sur son semblable et sur lui-même ! La conscience d’être débiteurs les uns envers les autres va de pair avec l’appel à la solidarité fraternelle que saint Paul a exprimé avec concision en nous invitant à nous « supporter les uns les autres avec charité » (Ep 4,2). Quelle leçon d’humilité est ici renfermée à l’égard de l’homme, du prochain en même temps que de nous-mêmes ! Quelle école de bonne volonté pour la vie en commun de chaque jour, dans les diverses conditions de notre existence !

Saint Jean-Paul II (1920-2005), papeEncyclique « Dives in misericordia » ch. 7, §14 (trad. © Libreria Editrice Vaticana)


Dimanche 10 septembre 2023

Subtilité de la correction fraternelle

J’ai vu d’abord que toutes les âmes ont à peu près les mêmes combats, mais qu’elles sont si différentes d’un autre côté que je n’ai pas de peine à comprendre ce que disait le Père Pichon : « Il y a bien plus de différence entre les âmes qu’il n’y en a entre les visages. » Aussi est-il impossible d’agir avec toutes de la même manière. Avec certaines âmes, je sens qu’il faut me faire petite, ne point craindre de m’humilier en avouant mes combats, mes défaites ; voyant que j’ai les mêmes faiblesses qu’elles, mes petites sœurs m’avouent à leur tour les fautes qu’elles se reprochent et se réjouissent que je les comprenne par expérience. Avec d’autres j’ai vu qu’il faut au contraire pour leur faire du bien, avoir beaucoup de fermeté et ne jamais revenir sur une chose dite. S’abaisser ne serait point alors de l’humilité, mais de la faiblesse. Le bon Dieu m’a fait la grâce de ne pas craindre la guerre, à tout prix il faut que je fasse mon devoir. Plus d’une fois j’ai entendu ceci : « – Si vous voulez obtenir quelque chose de moi, il faut me prendre par la douceur ; par la force, vous n’aurez rien. » Moi je sais que nul n’est bon juge dans sa propre cause et qu’un enfant auquel un médecin fait subir une douloureuse opération ne manquera pas de jeter les hauts cris et de dire que le remède est pire que le mal ; cependant s’il se trouve guéri peu de jours après, il est tout heureux de pouvoir jouer et courir. Il en est de même pour les âmes.

Ste Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte-Face († 1897), entrée au Carmel à l’âge de 15 ans, y mourut à 24 ans de la tuberculose. Elle est docteur de l’Église. / Manuscrits autobiographiques, Ms C 23v-24r.

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Ne souffrez aucune division

Réglez tous votre conduite sur celle de Dieu : respectez-vous les uns les autres, et ne considérez pas votre prochain avec les yeux de la chair, mais ayez les uns pour les autres une charité constante en Jésus Christ. Ne souffrez parmi vous aucune division, mais que votre union avec votre évêque et avec vos chefs soit une image et une démonstration de la vie éternelle. De même que le Seigneur n’a rien fait ni par lui-même, ni par les Apôtres sans le Père avec lequel il est un, ne faites rien vous non plus en dehors de l’évêque et des prêtres. Ne croyez pas que vous puissiez rien faire de bon séparément : il n’y a de bon que ce que vous faites en commun. Une même prière, une même supplication, un seul esprit, une même espérance animée par la charité dans la joie incorruptible : tout cela c’est Jésus Christ, au-dessus duquel il n’y a rien. Accourez tous vous réunir dans l’unique temple de Dieu, autour de l’unique autel, c’est-à-dire en Jésus Christ un, qui est sorti du Père un, sans cesser de lui être uni.

Saint Ignace d’Antioche (?-v. 110) – évêque et martyr.

Lettre aux Magnésiens, 6,7 ; SC 10 bis (Lectures pour chaque jour de l’année II, Prière du Temps présent, Cerf, 1971, p. 109; rev.)


Eté 2023

Saint Aelred de Rievaulx (1110-1167)

moine cistercien

Le Miroir de la charité, I, 30-31 (trad. Brésard, 2000 ans A, p. 188)

« Vous trouverez le repos »

Ceux qui se plaignent de la rudesse du joug du Seigneur n’ont peut-être pas rejeté complètement le joug si pesant de la convoitise du monde… Dites-moi, quoi de plus doux, quoi de plus reposant que de n’être plus agité par les mouvements déréglés de la chair… ? Quoi d’aussi proche de la tranquillité divine que de n’être plus ému par les affronts qui nous sont faits, de n’être effrayé par nul tourment, nulle persécution, mais de garder un calme identique dans le bonheur et le malheur, de voir d’un même œil ennemi ou ami, de se rendre semblable à Celui « qui fait lever son soleil sur les bons et sur les mauvais, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes » ? (Mt 5,45) Tout cela se trouve dans la charité, et rien que dans la charité. C’est de même en elle que résident la vraie tranquillité, la vraie douceur, car c’est elle le joug du Seigneur. Si, à l’invitation du Seigneur, nous le portons, nous trouverons le repos pour nos âmes, car « le joug du Seigneur est doux et son fardeau léger ». C’est que « la charité est patiente, elle est serviable, elle ne s’enfle pas, elle n’agit pas de travers, elle n’est pas ambitieuse » (1Co 13,4-5). Les autres vertus sont pour nous comme un véhicule pour un homme fatigué, ou comme la nourriture pour un voyageur, ou une lumière pour des gens perdus dans les ténèbres, ou des armes pour un combattant. Mais la charité –- qui doit se trouver dans toutes les vertus pour qu’elles soient des vertus –- est par elle-même, d’une manière toute spéciale, le repos du fatigué, la demeure du voyageur, la pleine lumière pour celui qui parvient au but et la couronne parfaite de celui qui remporte la victoire.

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SERMON DE SAINT AUGUSTIN
SUR L’ANCIEN TESTAMENT

« Le sacrifice qui plaît à Dieu, c’est un esprit brisé »

Mon crime, dit David, moi, je le reconnais. Si moi, je reconnais, c’est donc à toi de fermer les yeux. Ne prétendons aucunement que notre vie est vertueuse et que nous sommes sans péché. Pour que notre vie mérite l’éloge, demandons pardon. Les hommes sans espérance, moins ils font attention à leurs propres péchés, plus ils sont curieux des péchés d’autrui. Ils ne cherchent pas ce qu’ils vont corriger, mais ce qu’ils vont critiquer. Et puisqu’ils ne peuvent pas s’excuser, ils sont prêts à accuser les autres. Ce n’est pas l’exemple de prière et de satisfaction envers Dieu que nous donne le psalmiste lorsqu’il dit : Car mon crime, moi, je le reconnais; et mon péché est toujours devant moi. Celui-là n’était pas attentif aux péchés d’autrui. Il invoquait son propre témoignage contre lui-même, il ne se flattait pas, mais il s’examinait, il descendait profondément en lui-même. Il ne se pardonnait pas et c’est justement pour cela qu’il pouvait demander sans impudence d’être pardonné.

Tu veux te réconcilier avec Dieu ? Apprends à te comporter de telle sorte que Dieu se réconcilie avec toi. Remarque ce qu’on lit dans le même psaume : Car, si tu avais voulu un sacrifice, je te l’aurais bien offert ; tu ne prendras pas plaisir aux holocaustes. Tu n’auras donc pas de sacrifice ? Tu n’auras rien à offrir, tu n’auras aucune offrande pour te réconcilier avec Dieu ? Écoute la suite, et dis à ton tour : Le sacrifice pour Dieu, c’est un esprit brisé. Le cœur brisé et humilié, Dieu ne le méprise pas. Après avoir rejeté ce que tu offrais, tu as trouvé quelque chose à offrir. Tu voulais offrir, comme tes pères, des animaux immolés, ce qu’on appelait des sacrifices. Si tu avais voulu un sacrifice, je t’en aurais bien offert. Ce n’est donc pas cela que tu cherches, et pourtant c’est un sacrifice que tu cherches.

Tu ne prendras pas plaisir aux holocaustes, dit-il. Ainsi donc, parce que tu ne prendras pas plaisir aux holocaustes, tu resteras sans sacrifice ? Pas du tout ! Le sacrifice pour Dieu, c’est un esprit brisé ; le cœur brisé et humilié, Dieu ne le méprise pas. Tu possèdes de quoi offrir. N’inspecte pas un troupeau, n’arme pas des navires et ne franchis pas la mer jusqu’à des régions lointaines pour en rapporter des aromates. Cherche dans ton cœur ce qui peut plaire à Dieu. Il faut briser ton cœur. Ne crains pas qu’il en meure ! On te le dit ici :  Ô Dieu, crée en moi un cœur pur. Pour que soit créé un cœur pur, il faut briser le cœur impur.

Il faut nous déplaire à nous-mêmes quand nous péchons, parce que les péchés déplaisent à Dieu. Et puisque nous ne sommes pas sans péché, nous ressemblerons à Dieu au moins en ce que le péché nous déplaît, comme à lui. Pour une part tu seras uni à la volonté de Dieu, car ce qui te déplaît en toi, c’est ce que déteste celui qui t’a crée.


Dimanche 2 juillet 2023

Risquer pour vivre

Sans Jésus, la destinée de l’homme ici-bas est sans issue. Depuis que Dieu s’est fait homme et qu’il a assumé toute sa destinée jusqu’à en mourir et en ressusciter, toute existence humaine qui feint d’ignorer Jésus se termine en impasse. En effet, Jésus est à tel point entré dans les chemins de l’homme, qu’il en a obstrué un, définitivement, dans sa mort, en même temps qu’il en a ouvert un autre, le seul qui désormais puisse déboucher, dans sa Résurrection.

Paradoxe du chemin de Jésus : ceux qui nous ont été les plus indispensables pour vivre et pour grandir – père et mère – et ceux auxquels nous avons été à notre tour indispensables – fils et filles –, il faut désormais les quitter pour être à même de suivre Jésus jusqu’au bout. C’est le point crucial du chemin, l’endroit où il est le plus resserré, où il devient chemin de croix : « Celui qui ne prend pas sa croix pour me suivre n’est pas digne de moi » (Lc 14, 27). De ce moment, que nous craignons, et qu’il fait bon de craindre puisque Jésus, le premier, en eut peur et en fut triste jusqu’à mourir (cf. Mt 26, 38), de ce moment nous savons seulement deux choses. D’abord, que nous n’aurons plus devant nous que Jésus seul, Jésus qui nous invite. Ensuite, que ce sera le moment bienheureux où notre chemin enfin aboutira, où la vie ancienne basculera dans la Résurrection et dans la vie nouvelle : « Qui veut garder sa vie pour soi la perdra ; qui perdra sa vie à cause de moi la gardera. »

André Louf, o.c.s.o.

Dom André Louf († 2010) a été abbé du Mont-des-Cats pendant trente-cinq ans avant de vivre en ermite jusqu’à la fin de ses jours. / Heureuse faiblesse. Homélies pour les dimanches de l’année A, Paris, DDB, 1998, p. 163.165-166.

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 « Si quelqu’un veut marcher derrière moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive »

Sur le chemin de la croix, le Sauveur n’est pas seul, et il n’est pas entouré que d’ennemis qui le harcèlent. Il y a aussi la présence des êtres qui le soutiennent : la Mère de Dieu, modèle de ceux qui, en tout temps, suivent l’exemple de la croix ; Simon de Cyrène, symbole de ceux qui acceptent une souffrance imposée et qui, dans cette acceptation, sont bénis ; et Véronique, image de ceux que l’amour porte à servir le Seigneur. Chaque homme qui, dans la suite des temps, a porté un lourd destin en se souvenant de la souffrance du Sauveur ou qui a librement fait œuvre de pénitence a racheté un peu de l’énorme dette de l’humanité et a aidé le Seigneur à porter son fardeau. Bien plus, c’est le Christ, Tête du Corps mystique, qui accomplit son œuvre d’expiation dans les membres qui se prêtent de tout leur être, corps et âme, à son œuvre de rédemption. On peut supposer que la vision des fidèles qui allaient le suivre sur son chemin de souffrance a soutenu le Sauveur au jardin des Oliviers. Et l’appui de ces porteurs de croix lui est un secours à chacune de ses chutes. Ce sont les justes de l’Ancienne Alliance qui l’accompagnent entre la première et la deuxième chute. Les disciples, hommes et femmes, qui se rallièrent à lui pendant sa vie terrestre sont ceux qui l’aident de la deuxième à la troisième station. Les amants de la Croix, qu’il a éveillés et qu’il éveillera encore tout au long des vicissitudes de l’Église combattante, sont ses alliés jusqu’à la fin des temps. C’est à cela que, nous aussi, nous sommes appelées.

Sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix [Édith Stein] (1891-1942), carmélite, martyre, copatronne de l’Europe. Am Fuss des Kreuzes, 24/11/1934 (in La crèche et la croix; trad. G. Català et Ph. Secretan; Éd. Ad Solem 1995, p. 57)


Dimanche 25 juin 2023

« Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le dans la lumière »

« Il enlève aux profondeurs leur voile de ténèbres et il amène à la lumière l’ombre de la mort. » (Jb 12,22 Vg) Lorsque le croyant saisit le sens mystérieux des paroles obscures des Prophètes, que fait-il donc ? n’enlève-t-il pas aux profondeurs leur voile de ténèbres ? Voilà pourquoi, en s’adressant à ses disciples, la Vérité dit aussi : « Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le dans la lumière. » (Mt 10,27) Quand, en effet, nos commentaires défont les nœuds mystérieux des allégories, nous disons dans la lumière ce que nous avons entendu dans les ténèbres. Or l’ombre de la mort, elle, c’était la dureté de la Loi, qui prescrivait pour tout pécheur la punition de la mort physique. Mais lorsque notre Rédempteur a tempéré dans sa mansuétude l’âpreté de la prescription de la Loi, lorsqu’il a établi que ce n’était plus la mort du corps qui était la sanction de la faute, et révélé combien était à redouter la mort de l’âme, il a manifestement amené en pleine lumière l’ombre de la mort. Car une mort qui sépare la chair de l’âme n’est que l’ombre de celle qui sépare l’âme de Dieu. L’ombre de la mort est donc amenée à la lumière lorsque, comprenant ce qu’est la mort de l’esprit, on cesse de craindre la mort de la chair. (…) Le Seigneur, en effet, enlève aux profondeurs leur voile de ténèbres lorsqu’Il met en pleine lumière le jugement qui procède de ses secrets conseils, afin de manifester son sentiment sur chacun de nous.

Saint Grégoire le Grand (v. 540-604), pape et docteur de l’Église. Livre XI, SC 212 (Morales sur Job, trad. A. Bocognano, éd. du Cerf, 1974 ; p. 83-85)

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Je ne rougirai pas de toi

On raconte qu’un moine nommé Martyrius sortit de son monastère pour en aller voir un autre. En chemin, il rencontra un lépreux que l’éléphantiasis avait défiguré. L’homme de Dieu jeta aussitôt à terre le manteau dont il était vêtu, l’étendit et y déposa le lépreux ; après l’en avoir bien enveloppé, il le mit sur ses épaules et, reprenant son chemin, l’emporta avec lui. Comme il approchait des portes du monastère, le père spirituel du monastère s’écria d’une voix forte : « Courez, ouvrez vite les portes du monastère, car notre frère Martyrius arrive en portant le Seigneur. » Or, dès que Martyrius fut arrivé à la porte du monastère, celui qu’il avait pris pour un lépreux sauta de son cou à terre et se montra sous les traits sous lesquels se fait reconnaître d’ordinaire le Rédempteur du genre humain, le Christ Jésus, Dieu et homme : il retourna au ciel sous les yeux de Martyrius et lui dit en y montant : « Martyrius, tu n’as pas rougi de moi sur la terre, je ne rougirai pas de toi dans le ciel ». Lorsque le saint homme fut entré dans le monastère, le père du monastère lui dit : « Frère Martyrius, où est celui que tu portais ? » Martyrius lui répondit : « Si j’avais su qui il était, je me serais jeté à ses pieds. » Il raconta alors que, tandis qu’il le portait, il ne sentait pas du tout son poids. Quoi d’étonnant ? Comment aurait-il pu sentir le poids de celui qui portait celui qui le portait ?

St Grégoire le Grand. Docteur de l’Église, saint Grégoire le Grand fut pape de 590 à 604 ; il envoya saint Augustin de Cantorbéry évangéliser la Grande-Bretagne. / Homélies sur l’Évangile, 39, 10, trad. R. Étaix, G. Blanc, B. Judic, Paris, Cerf, 2008, Sources Chrétiennes 522, p. 517-519.


Dimanche 18 juin 2023

Le règne de Dieu

Nous pouvons distinguer aujourd’hui trois niveaux possibles dans l’annonce de l’Évangile.

Le premier est celui d’un témoignage de confiance rendu à la bonté de la vie, à la grandeur de la vocation humaine, non pas par des discours édifiants, mais parce que cela nous habite. Nous faisons alors l’expérience de ces rencontres où des personnes dans l’épreuve sont remises debout par une écoute véritable ou simplement encouragées et fortifiées par un témoignage de foi en ce que la vie est plus grande que tout ce qui la menace.

Le second niveau de la mission consiste à pouvoir désigner explicitement le Christ comme un modèle de cette confiance absolue, de cette foi en la vie capable d’ouvrir un chemin là où le découragement ne voit plus que des impasses. Oser parler de Jésus, inviter à considérer la vie et le message de cet homme, donner à goûter en lui le sens de notre vocation humaine, ce n’est pas encore ouvrir l’accès à la plénitude de la foi, mais c’est mettre sur l’unique chemin qui peut y conduire.

Enfin, le troisième niveau est d’accompagner les personnes qui découvrent dans le Christ l’amour unique et personnel de Dieu pour eux. Ce chemin vers une vie nouvelle, qui leur fait sentir la puissance de l’amour au plus profond de leur existence, doit pouvoir les ouvrir à la vie en Église et à sa mission. Découvrir le Christ comme plénitude du Don de Dieu doit pouvoir conduire à lui appartenir pleinement en son Corps qui est l’Église.

Frère Olivier-Marie, o.c.d.. Carme déchaux de la Province de Paris, actuellement prieur du couvent d’Avon. / Province des Carmes de Paris, Trésors spirituels du Carmel, Artège, 2022, p. 325-326.

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Soyez compatissants !

Soyez compatissants les uns pour les autres, voyez comme Je suis compatissant pour vous ; comme Je souffre, comme J’ai pitié, compassion, de toutes les douleurs, comme Je soupire avec celui-ci, comme Je pleure avec un autre… J’ai compassion de leurs deuils, de leurs maladies, de leurs inquiétudes, de leur faim, de leur faiblesse, de leur ignorances, de leurs péchés surtout ; non seulement Je fais du bien aux âmes et aux corps, mais mon Cœur a une pitié, une compassion profonde pour tous les maux de l’âme et du corps… La compassion fait partie de l’amour dans tout cœur mortel et de tout amour humain. Puisque Je vous commande l’amour de tous vos frères, compatissez à tous leurs maux, grands et petits, souffrez avec eux de tout ce qu’ils souffrent, comme Je vous en donne tant et tant d’exemples… N’oubliez jamais le devoir de l’amour : la compassion… N’oubliez pas mes larmes et mes soupirs et ces miracles que Je faisais, sans qu’on me les ait demandés, pour rendre des fils morts à leurs mères et que chacun de vous puisse dire à la dernière heure : « Qui de vous a pleuré sans que J’aie pleuré avec lui ? » Ah ! celui qui pourra dire cela sera mille fois béni, et il pourra ajouter : « La Charité du Christ me presse… Ce n’est plus moi qui vis, c’est Jésus qui vit en moi ». (2 Co 5, 14 ; Gal 2, 20)

Saint Charles de Foucauld (1858-1916), ermite et missionnaire au SaharaSur l’Évangile (Œuvre spirituelle, anthologie ; Éd. du Seuil, 1958 ; p. 135)


Dimanche 11 juin 2023

Le pain vivant pour notre vie

Ainsi, pour devenir nous-mêmes, nous avons besoin de nous nourrir d’un ailleurs, d’un autre. Nous ne sommes pas faits pour demeurer emprisonnés dans l’éternel recommencement du cycle des choses. En nous nourrissant de l’eucharistie, nous sommes appelés à devenir, à notre tour, ce que nous recevons, Celui que nous recevons.

Comme le dit saint Paul, par la communion à cet unique corps, nous sommes appelés à devenir un seul Corps ! Ainsi, l’eucharistie débouche-t-elle toujours sur l’Église, qui fait de nous l’Église, les pierres vivantes du temple spirituel qu’est l’Église. Ainsi, le mystère de l’eucharistie n’est pas seulement le mystère du corps et du sang du Seigneur sous les espèces du pain et du vin, mais c’est aussi ce mystère de transformation qui fait de nous son Corps, qui fait de nous l’Église.

Quand nous fêtons la solennité du Saint-Sacrement du Corps et du Sang du Seigneur, l’Église nous invite à nous arrêter, à demeurer, quelques instants, auprès du Seigneur présent, vivant et vivifiant dans son eucharistie. Elle nous invite à revenir à la source de toute vocation chrétienne, de notre vocation personnelle. Elle nous invite à puiser à la source de toute prière, de toute mission. C’est là, auprès du mystère de l’amour infini de Dieu, que nous pourrons recevoir le désir de commencer, la force de recommencer, et le goût de persévérer. Car c’est lui qui est notre force ! Et sans lui, notre vie tombe en ruines !

Guillaume Jedrzejczak, o.c.s.o.

Dom Guillaume Jedrzejczak, cistercien, né en 1957, devient abbé de l’abbaye du Mont-des-Cats en 1997, charge qu’il remet en 2009. Il est actuellement aumônier des sœurs trappistines de Valserena, en Toscane (Italie). / Traverser le chant du monde. Les Évangiles et la vie ; 2009, Anne Sigier, p. 295-296.

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Le mystère de l’Eucharistie

Le Fils unique de Dieu, voulant nous faire participer à sa divinité, a pris notre nature afin de diviniser les hommes, lui qui s’est fait homme.

En outre, ce qu’il a pris de nous, il nous l’a entièrement donné pour notre salut. En effet, sur l’autel de la croix il a offert son corps en sacrifice à Dieu le Père afin de nous réconcilier avec lui ; et il a répandu son sang pour qu’il soit en même temps notre rançon et notre baptême : rachetés d’un lamentable esclavage, nous serions purifiés de tous nos péchés.

Et pour que nous gardions toujours la mémoire d’un si grand bienfait, il a laissé aux fidèles son corps à manger et son sang à boire, sous les dehors du pain et du vin.

Banquet précieux et stupéfiant, qui apporte le salut et qui est rempli de douceur ! Peut-il y avoir rien de plus précieux que ce banquet où l’on ne nous propose plus, comme dans l’ancienne Loi, de manger la chair des veaux et des boucs, mais le Christ qui est vraiment Dieu ? Y a-t-il rien de plus admirable que ce sacrement ? ~

Aucun sacrement ne produit des effets plus salutaires que celui-ci : il efface les péchés, accroît les vertus et comble l’âme surabondamment de tous les dons spirituels !

Il est offert dans l’Église pour les vivants et pour les morts afin de profiter à tous, étant institué pour le salut de tous.

Enfin, personne n’est capable d’exprimer les délices de ce sacrement, puisqu’on y goûte la douceur spirituelle à sa source et on y célèbre la mémoire de cet amour insurpassable, que le Christ a montré dans sa passion.

Il voulait que l’immensité de cet amour se grave plus profondément dans le cœur des fidèles. C’est pourquoi à la dernière Cène, après avoir célébré la Pâque avec ses disciples, lorsqu’il allait passer de ce monde à son Père, il institua ce sacrement comme le mémorial perpétuel de sa passion, l’accomplissement des anciennes préfigurations, le plus grand de tous ses miracles ; et à ceux que son absence remplirait de tristesse, il laissa ce sacrement comme réconfort incomparable.

Saint Thomas d’AquinLecture pour l’office du Corps du Christ 


Dimanches 28 mai et 4 juin 2023

Rempli de gratitude, recevoir l’Esprit Saint

Tandis qu’on lisait dans l’évangile que le Seigneur a donné à ses disciples l’Esprit Saint en soufflant sur eux (cf. Jn 20,22), Gertrude supplia le Seigneur avec une instante dévotion de daigner, dans sa libéralité, lui donner, à elle aussi, l’Esprit d’où découle toute douceur. Le Seigneur lui répondit : « Si tu désires recevoir l’Esprit Saint, il te faut, comme mes disciples, toucher d’abord mon côté et mes mains. » (cf. Jn 20,27) Ces mots lui firent comprendre que si quelqu’un désire recevoir l’Esprit Saint, il lui faut toucher le côté du Seigneur, c’est-à-dire considérer avec gratitude l’amour du Cœur divin par lequel il nous a prédestinés de toute éternité à être ses fils et les héritiers de son royaume, et considérer aussi comment, par tant de bienfaits infinis, il nous a toujours prévenus, malgré notre indignité, et poursuivis de sa grâce, malgré notre ingratitude. Il lui faut, de plus, toucher les mains du Seigneur, c’est-à-dire se rappeler avec gratitude chacun des actes par lesquels le Seigneur a, pour notre amour, peiné pendant trente-trois ans à notre rédemption, et spécialement dans sa passion et dans sa mort. Et lorsqu’il sera enflammé de ce souvenir et de cette gratitude, qu’il offre à Dieu tout son cœur pour le bon plaisir de la volonté divine, en union avec cet amour qui a fait dire au Seigneur : « Comme le Père qui est vivant m’a envoyé, moi aussi je vous envoie » (Jn 20,21), en sorte que l’homme ne veuille ni ne désire rien sinon le souverain bon plaisir de Dieu, et, en outre, s’offre lui-même (…). Si quelqu’un agit de la sorte, il recevra indubitablement l’Esprit Saint, le Paraclet, dans les sentiments mêmes où les apôtres le reçurent par l’insufflation du Fils de Dieu.

Sainte Gertrude d’Helfta (1256-1301), moniale bénédictine – Le Héraut, Livre IV, SC 255 (Œuvres spirituelles, trad. J-M Clément, les moniales de Wisques et B. de Vregille, éd. du Cerf, 1978, p. 279, 281, rev.)

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L’envoi de l’Esprit

Quand le Seigneur donna à ses disciples le pouvoir de régénérer les hommes en Dieu, il leur dit : Allez, enseignez toutes les nations, baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.
C’est cet Esprit dont il a promis par les prophètes l’effusion dans les temps derniers, sur les serviteurs et les servantes, afin qu’ils prophétisent.
Voilà pourquoi l’Esprit est descendu dans le Fils de Dieu, devenu le fils de l’homme, pour s’habituer avec lui à habiter le genre humain, à reposer parmi les hommes, à habiter l’œuvre de Dieu, pour opérer en ces hommes la volonté du Père, et les renouveler de leur désuétude dans la nouveauté du Christ.
C’est l’Esprit, au dire de Luc, qui est descendu après l’Ascension du Seigneur sur les Apôtres à la Pentecôte, et qui a pouvoir sur tous les peuples pour les introduire à la vie et leur ouvrir la nouvelle Alliance.
C’est pourquoi, s’unissant à toutes les langues, ils chantaient une hymne à Dieu. L’Esprit ramenait à l’unité toutes les races éloignées, et offrait au Père les prémices de tous les peuples.
Voilà pourquoi aussi le Seigneur a promis de nous envoyer le Paraclet, qui nous adapte à Dieu. En effet la farine sèche ne peut sans eau devenir une seule pâte, pas davantage nous tous, ne pouvions devenir un en Jésus Christ sans l’eau qui vient du ciel. La terre aride, si elle ne reçoit pas d’eau, ne fructifie pas ; ainsi nous-mêmes, qui d’abord étions du bois sec, nous n’aurions jamais porté le fruit de la vie, sans l’eau librement donnée d’en haut. Ainsi nos corps ont reçu par l’eau du baptême l’unité qui les rend incorruptibles ; nos âmes l’ont reçue de l’Esprit. ~
L’Esprit de Dieu descendit sur le Seigneur, Esprit de sagesse et d’intelligence, Esprit de conseil et de force, Esprit de science et de piété, Esprit de crainte de Dieu. À son tour le Seigneur l’a donné à l’Église, en envoyant des cieux le Paraclet sur toute la terre, là où le diable fut abattu comme la foudre, dit le Seigneur.
Ainsi cette rosée de Dieu nous est bien nécessaire pour n’être point consumés ni rendus stériles, et pour que là où nous avons l’accusateur, là nous ayons le Défenseur : car le Seigneur a confié à l’Esprit Saint l’homme qui est sien, cet homme qui était tombé aux mains des brigands. Il en a eu pitié et a pansé ses blessures, lui donnant deux pièces à l’effigie du Roi, pour qu’ayant reçu par l’Esprit l’image et le sceau du Père et du Fils, nous fassions fructifier la pièce qu’il nous a confiée, et la rendions multipliée au Seigneur.

Saint Irénée – Traité contre les hérésies


Dimanche 21 mai 2023

Avec Jésus, vers le Père

De la recherche de Dieu, principe de notre sainteté, nous ne pouvons trouver de meilleur modèle que le Christ Jésus lui-même. Mais, direz-vous aussitôt, comment, en ceci, le Christ peut-il être notre modèle ? Comment a-t-il pu « chercher Dieu », puisqu’il était Dieu lui-même ? Il est vrai que Jésus est Dieu, « vrai Dieu sorti de Dieu, lumière jaillissant de la lumière incréée » (Credo de la messe), le Fils du Dieu vivant, égal au Père. Mais il est aussi homme ; il est authentiquement l’un des nôtres par sa nature humaine. (…) Et nous voyons le Christ Jésus, tel un géant, s’élancer dans sa carrière, à la poursuite de la gloire de son Père. C’est là sa disposition primordiale. Écoutons comment, dans l’Évangile, il nous le dit lui-même en propres termes : « Je ne cherche pas ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé » (Jn 5,30). Aux juifs, il prouve qu’il vient de Dieu, que sa doctrine est divine, parce qu’« il ne recherche pas sa propre gloire, mais celle de celui qui l’a envoyé » (cf. Jn 7,18). Il la recherche tellement qu’« il n’a pas souci de la sienne propre » (cf. Jn 8,50). Toujours il a sur les lèvres ces mots : « mon Père » ; toute sa vie n’est que le magnifique écho de ce cri : Abba, Père. Pour lui, tout se ramène à rechercher la volonté et la gloire de son Père. Et quelle constance dans cette recherche ! Il nous déclare lui-même qu’il n’en dévie jamais : « J’accomplis toujours ce qui est agréable à mon Père » (cf. Jn 8,29) ; à l’heure suprême des derniers adieux, au moment où il va se livrer à la mort, il nous dit qu’« il a réalisé toute la mission qu’il a reçue de son Père » (cf. Jn 17,4). (…) Si, comme Dieu, Jésus est le terme de notre recherche, comme un homme il en est l’inexprimable modèle, l’exemple unique dont nous ne devons jamais détacher le regard.

Bienheureux Columba Marmion (1858-1923), abbé – Chercher Dieu (Le Christ Idéal du Moine), éd. DDB, 1936 ; p. 19-22 ; rev.

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 « Je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée »

Si l’amour chasse parfaitement la crainte et si la crainte se transforme en amour, alors on découvre que l’unité consiste en cet aboutissement du salut : tous sont unis entre eux par l’adhésion à l’unique bien, au moyen de cette perfection que la colombe représente.

Car c’est le sens que nous tirons des paroles qui suivent dans le Cantique des cantiques, et que prononce le Bien-Aimé : Unique est ma colombe, unique ma parfaite ; elle est la fille unique de sa mère, la préférée de celle qui l’enfanta.

Mais le sens de ces paroles nous apparaît plus clairement dans le discours du Seigneur rapporté par l’Évangile. Par sa bénédiction, il a donné toute puissance à ses disciples ; puis, en priant son Père, il accorde les autres biens à ceux qui en sont dignes. Et il ajoute le principal de tous les biens : que les disciples ne soient plus divisés par la diversité de leurs préférences dans leur jugement sur le bien, mais qu’ils soient tous un par leur union au seul et unique bien. Ainsi, par l’unité du Saint-Esprit, comme dit l’Apôtre, étant attachés par le lien de la paix, ils deviennent tous un seul corps et un seul esprit, par l’unique espérance à laquelle ils ont été appelés.

Mais nous ferons mieux de citer littéralement les divines paroles de l’Évangile : Que tous, dit Jésus, soient un, comme toi, mon Père, tu es en moi, et moi en toi ; qu’eux-mêmes soient un en nous.

Or, le lien de cette unité, c’est la gloire. Que le Saint-Esprit soit appelé gloire, aucun de ceux qui examinent la question ne saurait y contredire, s’il considère ces paroles du Seigneur : La gloire que tu m’as donnée, je la leur ai donnée. Effectivement, il leur a donné cette gloire quand il leur a dit : Recevez le Saint-Esprit.

Cette gloire, qu’il possédait de tout temps, avant que le monde fût, le Christ l’a pourtant reçue lorsqu’il a revêtu la nature humaine. Et lorsque cette nature eut été glorifiée par l’Esprit, tout ce qui lui est apparenté a reçu communication de la gloire de l’Esprit, en commençant par les disciples. C’est pour cela que Jésus dit : La gloire que tu m’as donnée, je la leur ai donnée ; qu’ils soient un comme nous sommes un ; moi en eux et toi en moi, pour qu’ils soient parfaitement un.

Celui qui, de petit enfant, est parvenu en grandissant à la stature d’homme parfait, qui a rejoint la mesure de l’âge spirituel ; celui qui est devenu capable de recevoir la gloire de l’Esprit par sa maîtrise de soi et sa pureté : il est cette colombe parfaite que regarde l’Époux lorsqu’il dit : Unique est ma colombe, unique ma parfaite.

Saint Grégoire de NysseHomélie sur le Cantique des Cantiques


Dimanche 14 mai 2023

 « Je prierai le Père, et il vous donnera un autre Défenseur qui sera pour toujours avec vous : c’est l’Esprit de vérité »

Dieu est esprit » dit le Seigneur à la Samaritaine (…) ; puisque Dieu est invisible, incompréhensible et infini, ce n’est ni sur une montagne, ni dans un temple que Dieu doit être adoré (Jn 4,21-24). « Dieu est esprit » et un esprit ne peut pas être circonscrit, ni tenu en main ; par la puissance de sa nature, il est partout et n’est absent d’aucun lieu ; par tout lui-même il surabonde en toutes choses. C’est pourquoi il faut adorer dans l’Esprit Saint le Dieu qui est esprit. (…) L’apôtre Paul ne dit pas autre chose quand il écrit : « Le Seigneur est esprit, et là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté » (2Co 3,17). (…) Que cessent donc les argumentations de ceux qui refusent l’Esprit. L’Esprit Saint est un, partout répandu, illuminant tous les patriarches, les prophètes et tout le chœur de ceux qui ont participé à la rédaction de la Loi. Il a inspiré Jean le Baptiste dès le sein de sa mère ; il a été répandu enfin sur les apôtres et tous les croyants pour qu’ils connaissent la vérité qui leur est donnée par grâce. Quelle est en nous l’action de l’Esprit ? Écoutons les paroles du Seigneur lui-même : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous n’avez pas la force de les porter maintenant. Il vous est bon que je m’en aille, car si je m’en vais, je vous enverrai un défenseur (…), l’Esprit de vérité qui vous conduira à la vérité tout entière » (Jn 16,7-13). (…) En ces mots nous sont révélés la volonté du donateur, ainsi que la nature et le rôle de celui qu’il nous donne. Car notre faiblesse ne nous permet pas de connaître ni le Père ni le Fils ; le mystère de l’incarnation de Dieu est difficile à comprendre. Le don de l’Esprit Saint, qui se fait notre allié par son intercession, nous illumine. (…) Or ce don unique qui est dans le Christ est offert en plénitude à tous. Il ne manque nulle part, mais il est donné à chacun pour autant qu’il veut le recevoir. Cet Esprit Saint demeure avec nous jusqu’à la consommation des temps, il est notre consolation dans l’attente, il est le gage des biens de l’espérance à venir, il est la lumière de nos esprits, il est la splendeur de nos âmes.

Saint Hilaire (v. 315-367), évêque de Poitiers et docteur de l’Église – La Trinité, 2, 31-35 (trad. cf DDB 1981, t.1, p. 88s et Bouchet, Lectionnaire, p. 221)

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 « Si quelqu’un est dans le Christ, il est une créature nouvelle »

Ceux qui possèdent les premiers dons du Saint-Esprit et l’espérance de la résurrection considèrent qu’ils possèdent déjà ce qu’ils attendent, et ils disent : Désormais nous ne connaissons plus personne selon la chair. Nous sommes tous des spirituels, étrangers à la corruption de la chair. En effet, illuminés par le Fils unique, nous sommes transformés en ce Verbe qui donne la vie à tous les êtres. Si nous étions captifs des liens de la mort quand le péché régnait sur nous, maintenant que nous sommes introduits dans la justice du Christ, nous avons rejeté la corruption.

Ainsi, personne n’est plus dans la chair, c’est-à-dire dans sa condition de faiblesse, car c’est ainsi qu’on doit comprendre la corruption, parmi bien d’autres attributs de la chair, et saint Paul ajoute : Car, si nous avons connu le Christ de cette manière charnelle, maintenant nous ne le connaissons plus ainsi. C’est comme s’il voulait dire : Le Verbe s’est fait chair, il a établi sa demeure parmi nous ; pour notre vie à tous, il a subi la mort selon la chair, et c’est ainsi que nous l’avons connu, mais maintenant nous ne le connaissons plus ainsi. Même s’il est encore dans la chair, puisqu’il est redevenu vivant le troisième jour et qu’il se trouve dans le ciel auprès du Père, on comprend qu’il est au-dessus de la chair : mort une fois pour toutes, il ne mourra plus, sur lui la mort n’a plus aucun pouvoir. Car il est mort, et c’est au péché qu’il est mort une fois pour toutes. Lui qui est vivant, c’est pour Dieu qu’il est vivant.

Donc, si telle est la situation du chef qui nous conduit à la vie, il faut absolument que nous suivions ses traces et qu’on nous voie vivre non pas tellement dans la chair qu’au-dessus de la chair. Saint Paul a eu tout à fait raison de dire : Si quelqu’un est dans le Christ, il est une créature nouvelle. Le monde ancien s’en est allé, un nouveau monde est déjà né. ~ En effet, nous avons été rendus justes par la foi au Christ, et la malédiction n’a plus aucune force. Il est redevenu vivant pour nous, après avoir terrassé le pouvoir de la mort. Nous avons reconnu qu’il est Dieu par nature et véritablement. Nous adorons le Père en esprit et vérité par la médiation du Fils qui fait venir sur le monde, de la part du Père, les bénédictions célestes.

C’est pourquoi saint Paul dit ensuite avec beaucoup de profondeur : Tout cela vient de Dieu : il nous a réconciliés avec lui par le Christ. Et il est bien vrai que le mystère de l’Incarnation, comme la rénovation qui s’ensuit, n’échappent pas à la volonté du Père. ~ C’est par le Christ que nous avons obtenu accès auprès du Père puisque, comme il l’a dit, personne ne va au Père sans passer par lui. Donc, tout cela vient de Dieu : il nous a réconciliés avec lui par le Christ, et il nous a donné pour ministère de travailler à cette réconciliation.

Saint Cyrille d’AlexandrieCommentaire sur la 2nde Lettre aux Corinthiens


Dimanches 30 avril et 7 mai 2023

Le portier du ciel

[Sainte Catherine a entendu Dieu lui dire :] Il n’est personne qui puisse entrer dans la vie éternelle s’il n’est obéissant. Sans l’obéissance, on reste dehors ; car l’obéissance est la clef, avec laquelle fut ouverte la porte qui avait été fermée par la désobéissance d’Adam. Poussé par ma bonté infinie et ne pouvant me faire à l’idée que l’homme que j’aimais tant, ne faisait pas retour à moi sa fin dernière, je pris la clef de l’obéissance et je la remis aux mains du doux Verbe d’amour, ma Vérité, que j’établis portier du ciel. C’est lui qui en ouvrit la porte. Sans cette clef et sans ce portier, nul n’y peut avoir accès. C’est ce qu’il vous a appris dans son Évangile, quand il vous a dit que nul ne peut venir à moi, le Père, si ce n’est par lui (cf. Jn 14,6). Quand il quitta la société des hommes pour retourner près de moi en montant au ciel, il vous laissa cette précieuse clef de l ‘obéissance. (…) Je te l’ai déjà dit, elle est une clef qui ouvre le ciel, et cette clef, il la confiée aux mains de son vicaire. Ce vicaire la remet à chacun de vous, lorsque, dans la réception du baptême, vous vous engagez à renoncer au démon, au monde, à ses pompes, à ses plaisirs. Par cette promesse de soumission, chacun reçoit la clef de l’obéissance, chacun la possède pour son propre usage, et c’est la même clef que celle de mon Verbe. Si l’homme ne se laisse pas conduire par la lumière de la foi et par la main de l’amour, pour ouvrir avec cette clef la porte du ciel, jamais il n’entrera dedans, bien que mon Verbe en ait déjà ouvert la porte. Je vous ai créés sans vous, mais je ne vous sauverai pas sans vous. Il vous faut donc porter à la main cette clef ; il ne faut pas rester assis, il faut marcher. En avant, par le chemin ouvert par ma Vérité ! Et debout !

Sainte Catherine de Sienne (1347-1380) – Tertiaire dominicaine, Docteur de l’Église, copatronne de l’Europe. De l’obéissance, chap. I-II, n° 154-155 (Le dialogue, tome 2, trad. J. Hurtaud, éd. Téqui, 1976, p. 252-253.257)

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Le jour qui n’a pas de nuit

Par la résurrection du Christ, les enfers s’ouvrent, par les nouveaux membres de l’Église, la terre est renouvelée, et le ciel est ouvert par le Saint-Esprit. Car les enfers en s’ouvrant laissent sortir les morts, la terre renouvelée fait germer ceux qui ressuscitent, le ciel ouvert accueille ceux qui y montent.

Enfin le malfaiteur monte au paradis, les corps des saints entrent dans la Cité sainte, les morts reviennent à la vie ; à la résurrection du Christ, tous les éléments sont comme transfigurés.

Les enfers font remonter ceux qu’ils détenaient, la terre envoie au ciel ceux qu’elle avait ensevelis, le ciel présente au Seigneur ceux qu’il accueille ; par une seule et même action la passion du Sauveur fait remonter des abîmes, élève au-dessus de la terre, fait trouver place dans les hauteurs.

Car la résurrection du Christ est vie pour les morts, pardon pour les pécheurs, gloire pour les saints. Le saint Prophète invite toutes les créatures à fêter la résurrection du Christ, car il dit qu’il faut exulter et se réjouir en ce jour que le Seigneur a fait.

La lumière du Christ est un jour qui n’a pas de nuit, un jour qui n’a pas de fin. ~ Que le Christ soit lui-même ce jour, l’Apôtre nous le dit : La nuit est partie, le jour est arrivé. La nuit est partie, dit-il, donc elle ne viendra plus ; comprenez-le : lorsque survient la lumière du Christ, elle dissipe les ténèbres du démon, et elle n’est pas suivie par la nuit du péché ; elle chasse par sa splendeur permanente l’obscurité présente, elle arrête la progression sournoise du péché.

C’est le Fils en personne qui est le jour, car le Père qui est aussi le jour lui dévoile son mystère. Je dis bien : il est le jour, lui qui a dit par la bouche de Salomon : J’ai fait se lever dans le ciel la lumière sans déclin.

De même que la nuit ne succède jamais à ce jour céleste, de même les ténèbres du péché ne succèdent pas à la justice du Christ. C’est pour toujours que la lumière céleste resplendit, éclaire et brille, et aucune obscurité ne peut l’emprisonner. De même, c’est pour toujours que la lumière du Christ étincelle, rayonne, illumine, et ne peut être arrêtée par aucune obscurité des péchés, ce qui fait dire à saint Jean : La lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée.

Donc, mes frères, nous devons tous exulter en ce saint jour. Que personne ne se soustraie à la joie commune parce qu’il a conscience de ses péchés, que personne ne soit écarté des prières communes par le fardeau de ses fautes ! En un tel jour, même le pécheur ne doit pas désespérer du pardon ; c’est en effet un grand privilège. Si un malfaiteur a obtenu le paradis, pourquoi le chrétien n’obtiendrait-il pas le pardon ?

Saint Maxime de TurinHomélie pour la Pâque


Dimanche 23 avril 2023

« N’oubliez pas l’hospitalité »

Deux disciples faisaient route ensemble. Ils ne croyaient pas, et cependant ils parlaient du Seigneur. Soudain celui-ci est apparu, mais sous des traits qu’ils n’ont pas pu reconnaître. (…) Ils l’invitent à partager leur gîte, comme on le fait avec un voyageur. (…) Ils apprêtent donc la table, ils présentent la nourriture, et Dieu, qu’ils n’avaient pas reconnu dans l’explication de l’Écriture, ils le découvrent dans la fraction du pain. Ce n’est donc pas en écoutant les préceptes de Dieu qu’ils ont été illuminés, mais en les accomplissant : « Ce ne sont pas ceux qui écoutent la Loi qui seront justes devant Dieu, mais ceux qui mettent la Loi en pratique qui seront justifiés » (Rm 2,13).

Si quelqu’un veut comprendre ce qu’il a entendu, qu’il se hâte de mettre en pratique ce qu’il en a déjà pu saisir. Le Seigneur n’a pas été reconnu pendant qu’il parlait ; il a daigné se manifester lorsqu’on lui a offert à manger. Aimons donc l’hospitalité, frères très chers ; aimons pratiquer la charité. Paul affirme à ce sujet : « Persévérez dans la charité fraternelle. N’oubliez pas l’hospitalité, car c’est grâce à elle que quelques-uns, à leur insu, ont reçu chez eux des anges » (He 13,1 ;Gn 18,1s). Pierre dit aussi : « Pratiquez l’hospitalité les uns envers les autres, sans murmurer » (1P 4,9). Et la Vérité elle-même nous déclare : « J’étais un étranger, et vous m’avez recueilli » (…) « Ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens, nous dira le Seigneur au jour du jugement, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25,35.40). (…) Et malgré cela, nous sommes si paresseux devant la grâce de l’hospitalité !

Mesurons, mes frères, la grandeur de cette vertu. Recevons le Christ à notre table, afin de pouvoir être reçus à son festin éternel. Donnons maintenant l’hospitalité au Christ présent dans l’étranger, afin qu’au jugement nous ne soyons pas comme des étrangers qu’il ne connaît pas (Lc 13,25), mais nous reçoive comme des frères dans son Royaume.

Saint Grégoire le Grand (v. 540-604), pape et docteur de l’Église. Homélie 23 ; PL 76, 1182 (in Lectures chrétiennes pour notre temps, fiche I4 ; trad. Orval ; © 1972 Abbaye d’Orval ; rev.)

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Le vrai visage de l’Amour

Lors du repas, bien qu’étant l’invité, Jésus joue le rôle du maître de maison : il prononce la prière et partage le pain comme il le fit juste avant sa Passion. Alors leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent. Il n’y eut pourtant ni prodiges, ni effets spéciaux, mais la simplicité d’un geste : la présence de Jésus est devenue évidente jusque dans l’invisible. Le compte rendu des deux disciples aux onze apôtres se résume à cette reconnaissance lors de la fraction du pain. Par-delà le désastre, celle-ci révèle une fidélité capable de traverser la mort. Le Ressuscité les remet ainsi en route sur le chemin de la foi, d’une foi qui n’est pas fondée sur des espoirs humains, mais sur la fidélité de Dieu à son Alliance. Ainsi, notre foi peut-elle être éprouvée par des drames personnels, des scandales ecclésiaux ou une pandémie mondiale. C’est le moment favorable pour reconnaître à la lumière des Écritures la présence du Ressuscité et vivre de sa Vie. La fidélité de Dieu culmine à jamais dans le don qu’il nous fait de son Fils sur la Croix. Dans la mémoire du Crucifié, un simple geste de partage éveille notre cœur au vrai visage de l’Amour.

Frère Olivier-Marie, o.c.d. Carme déchaux de la province de Paris, actuellement prieur du couvent d’Avon. / Province des Carmes de Paris, Trésors spirituels du Carmel, Paris, Artège, 2022, p. 167-168.


Dimanche 16 avril 2023

Homélie de Saint Augustin aux nouveaux baptisés le deuxième dimanche de Pâques

Ceux qui sont re-nés dans le Christ

C’est à vous que je m’adresse, enfants nouveau-nés, vous qui êtes des tout-petits dans le Christ, la nouvelle génération mise au monde par l’Église, le don du Père, la fécondité de la Mère, de tendres bourgeons, l’essaim tout nouveau, la fleur de notre fierté et le fruit de notre labeur, ma joie et ma couronne, vous qui tenez bon dans le Seigneur.

Je vous adresse les paroles de l’Apôtre : Revêtez Jésus Christ et ne vous abandonnez pas aux préoccupations de la chair pour satisfaire vos convoitises, afin de revêtir par votre vie ce que vous avez revêtu par le sacrement. Vous tous qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ. Il n’y a plus ni Juif ni païen, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme : tous, vous ne faites plus qu’un dans le Christ Jésus.

Telle est la force du sacrement : il est le sacrement de la vie nouvelle, qui commence maintenant par le pardon de tous les péchés passés, et qui trouvera son accomplissement dans la résurrection des morts. Car vous avez été mis au tombeau avec le Christ par le baptême dans sa mort ; de même que le Christ est ressuscité des morts, ainsi devez-vous mener une vie nouvelle.

Vous vous conduisez maintenant par la foi, aussi longtemps que, dans ce corps mortel, vous êtes en exil loin du Seigneur. Mais vers celui vers qui vous tendez, vous avez un chemin sûr : le Christ lui-même est ce chemin, il a voulu le devenir en se faisant homme pour nous. Car il a réservé une grande douceur pour ceux qui le craignent ; il a voulu la commencer et la parfaire pour ceux qui espèrent en lui, du fait que nous recevrons en réalité ce que nous avons reçu maintenant en espérance.

C’est aujourd’hui l’octave de votre naissance ; aujourd’hui s’accomplit en vous le sceau de la foi qui était conféré chez les anciens Pères avec la circoncision de la chair qu’on faisait huit jours après la naissance charnelle. C’est pourquoi le Seigneur en ressuscitant a dépouillé la chair mortelle ; non pas qu’il ait surgi avec un autre corps, mais avec un corps qui ne doit plus mourir ; il a ainsi marqué de sa résurrection le « jour du Seigneur ». C’est le troisième jour après sa passion, mais dans le compte des jours qui suivent le sabbat, c’est le huitième, en même temps que le premier.

C’est pourquoi vous-mêmes avez reçu le gage de l’Esprit, non pas encore dans sa réalité, mais dans une espérance déjà certaine, parce que vous possédez le sacrement de cette réalité. Ainsi donc, si vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les réalités d’en haut : c’est là qu’est le Christ, assis à la droite de Dieu. Le but de votre vie est en haut, et non pas sur la terre. En effet, vous êtes morts avec le Christ, et votre vie reste cachée avec lui en Dieu. Quand paraîtra le Christ, votre vie, alors vous aussi, vous paraîtrez avec lui dans la gloire.

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J’ai confiance en toi

À chaque souffle de mon être, à chaque battement de mon cœur, à chaque pulsation de mon sang dans mon corps, autant de fois je désire glorifier ta miséricorde, ô Très Sainte Trinité. Je désire me transformer tout entière en ta miséricorde et être ainsi un vivant reflet de Toi, ô Seigneur ; que le plus suprême attribut de Dieu, son insondable miséricorde passe par mon âme et mon cœur pour aller vers mon prochain. Mon véritable repos est de rendre service à mon prochain pour que mon cœur soit miséricordieux, afin que je ressente toutes les souffrances de mon prochain. Je ne refuserai mon cœur à personne. Je fréquenterai sincèrement même ceux qui, je le sais, vont abuser de ma bonté, et moi, je m’enfermerai dans le Cœur très miséricordieux de Jésus. Je tairai mes propres souffrances. Que ta miséricorde repose en moi, ô mon Seigneur. Tu m’ordonnes de m’exercer aux trois degrés de la miséricorde. Le premier, c’est l’acte miséricordieux, quel qu’il soit. Le second, c’est la parole miséricordieuse : si je ne puis aider par l’action, j’aiderai par la parole. Le troisième, c’est la prière : si je ne peux témoigner la miséricorde ni par l’action, ni par la parole, je le pourrai toujours par la prière. J’envoie ma prière même là où je ne puis aller physiquement. Ô mon Jésus, transforme-moi en Toi, car Tu peux tout.

Ste Faustine Kowalska

Religieuse polonaise, Faustine Kowalska († 1938) fut l’apôtre de la dévotion à la Miséricorde divine, notamment par son Petit Journal. Elle a été canonisée par saint Jean-Paul II, en 2000. / Petit Journal, La Miséricorde divine dans mon âme, Cdacovie, Miséricordia, n°163, p. 146-147.


Dimanche 9 avril 2023

 « Voici le jour que le Seigneur a fait » (Ps 117,24)

Laissons éclater notre joie, mes frères, aujourd’hui comme hier. Si les ombres de la nuit ont interrompu nos réjouissances, le jour saint n’est pas achevé… : la clarté que répand la joie du Seigneur est éternelle. Le Christ nous illuminait hier ; aujourd’hui encore resplendit sa lumière. « Jésus Christ est le même hier et aujourd’hui » dit le bienheureux apôtre Paul (He 13,8). Oui, pour nous le Christ s’est fait le jour. Pour nous, il est né aujourd’hui, comme l’annonce Dieu son Père par la voix de David : « Tu es mon fils ; aujourd’hui je t’ai engendré » (Ps 2,7). Qu’est-ce à dire ? Qu’il n’a pas engendré son fils un jour, mais qu’il l’a engendré jour et lumière lui-même… Oui, le Christ est notre aujourd’hui : splendeur vivante et sans déclin, il ne cesse d’embraser le monde qu’il porte (He 1,3) et ce flamboiement éternel semble n’être qu’un jour. « Mille ans sont à tes yeux comme un seul jour » s’écrie le prophète (Ps 89,4). Oui, le Christ est ce jour unique, parce qu’unique est l’éternité de Dieu. Il est notre aujourd’hui : le passé, enfui, ne lui échappe pas ; l’avenir, inconnu, n’a pas de secrets pour lui. Lumière souveraine, il étreint tout, il connaît tout, à tous les temps il est présent et il les possède tous. Devant lui, le passé ne peut pas s’effondrer, ni l’avenir se dérober… Cet aujourd’hui n’est pas le temps où selon la chair il est né de la Vierge Marie, ni celui où selon la divinité, il sort de la bouche de Dieu son Père, mais le temps où il est ressuscité d’entre les morts : « Il a ressuscité Jésus, dit l’apôtre Paul ; ainsi est-il écrit au psaume deuxième : ‘ Tu es mon fils ; aujourd’hui je t’ai engendré ‘ » (Ac 13,33). Vraiment, il est notre aujourd’hui, quand, jailli de la nuit épaisse des enfers, il embrase les hommes. Vraiment, il est notre jour, celui que les noirs complots de ses ennemis n’ont pas pu obscurcir. Nul jour mieux que ce jour n’a su accueillir la lumière : à tous les morts, il a rendu et le jour et la vie. La vieillesse avait étendu les hommes dans la mort ; il les a relevés dans la vigueur de son aujourd’hui.

Saint Maxime de Turin (?-v. 420), évêque – Sermon 36 ; PL 57, 605 (trad. coll. Icthus t. 10, p. 262)

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Quand notre cœur s’embrase

Les deux disciples connaissaient les Écritures, mais ils n’en avaient pas saisi le sens le plus profond. Jésus les leur explique ; il explique le mystère de l’homme, de l’histoire, de ce qui s’est passé, des événements, et voici que leur cœur brûle : « Notre cœur n’était-il pas tout brûlant en nous quand il nous expliquait les Écritures ? » (Lc 24, 32). Le feu qui brûle produit un tremblement, un trouble intérieur, une émotion forte ; c’est l’expérience qui naît de l’écoute vraie de la Parole de Dieu. Maintenant ils ont compris que chaque page de la Bible, du premier au dernier livre, contient cette Parole vivante qu’est Jésus mort et ressuscité.

Il s’ensuit un précieux enseignement, il est fondamental de connaître l’Écriture pour découvrir l’amour de Dieu pour l’homme et sa longue histoire d’amour pour nous qui s’est déployée dans l’histoire du salut.

Dans l’ensemble, l’apparition de Jésus aux deux disciples nous rappelle que l’homme est un être en chemin et qu’il a besoin de sens ; que, dans ce chemin, il est appelé à reconnaître la Parole de Dieu qui le presse, qui l’interpelle sans cesse sur l’orientation de son voyage pour lui en expliquer le sens ; que la liberté et le bonheur de l’homme consistent à accueillir cette Parole, non pas à la refuser, dans l’ouverture des yeux et du cœur au dessein de Dieu qui nous est pleinement révélé dans le mystère de son Fils Jésus mort et ressuscité pour nous, vivant et opérant au milieu de nous.

Cardinal Carlo Maria Martini († 2012), jésuite – Il fut archevêque de Milan et auteur d’une importante œuvre exégétique spirituelle. / Je crois à la vie éternelle, Paris, Médiaspaul, 2013, p. 97.


Dimanche 2 avril 2023

Comment aller à votre rencontre, Seigneur ?

Le saint jour des Rameaux (…), Gertrude dit au Seigneur : « (…) Vous Seigneur Dieu, mon bien-aimé, pour mon salut vous marchez vers votre passion ; comment pourrai-je, moi, aller à votre rencontre d’une manière digne de vous honorer ? » Le Seigneur répondit : « Donne-moi une monture pour m’asseoir, une foule venant joyeuse au-devant de moi, une foule pour me suivre en chantant des louanges, et une foule pour m’accompagner et me servir. Je m’explique : donne-moi une monture dans la contrition de ton cœur, en confessant que souvent tu as négligé de suivre la raison et que, pas plus qu’un animal, tu n’as prêté attention à chacune des choses que ma bonté n’a cessé de faire pour toi en vue de ton salut. (…) Secondement, tu me donneras une foule venant joyeuse au-devant de moi, lorsque tu me recevras avec les sentiments d’affection de tout l’univers, en union avec cet amour qui m’amena aujourd’hui à Jérusalem pour le salut du monde entier, moi le Créateur et le Sauveur de tous. (…) En troisième lieu, donne-moi une foule pour me suivre en chantant des louanges. Pour cela, confesse que tu n’as jamais fait un effort suffisant pour imiter les exemples de ma vie si parfaite, et offre-moi une volonté tellement aimante que si tu pouvais inciter tous les hommes à imiter parfaitement les exemples de ma vie très parfaite et de ma passion, tu y emploierais de grand cœur toutes tes forces pour ma gloire. Et brûlante de désir, demande de recevoir la grâce de m’imiter, autant qu’il est possible à l’homme, en particulier par une authentique humilité, patience et charité, vertus que j’ai pratiquées davantage au temps de ma passion. Quatrièmement, donne-moi une foule pour me suivre et me servir. Pour cela, confesse que jamais tu n’as été à mes côtés avec la fidélité requise lorsqu’il fallait défendre la vérité et la justice. Et, ajouta le Seigneur, si quelqu’un, au nom de l’univers, se donne à moi de ces quatre manières, sans nul doute, je viendrai à lui avec tant de condescendance qu’il en recevra le fruit de salut éternel. »

Sainte Gertrude d’Helfta (1256-1301), moniale bénédictineLe Héraut, Livre IV, SC 255 (Œuvres spirituelles, trad. J-M Clément, les moniales de Wisques et B. de Vregille, éd. du Cerf, 1978, p. 213, 215, rev.)

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Gloire au Christ vainqueur de la mort

Venez, gravissons ensemble le mont des Oliviers ; allons à la rencontre du Christ. Il revient aujourd’hui de Béthanie et il s’avance de son plein gré vers sa sainte et bienheureuse passion, afin de mener à son terme le mystère de notre salut.
Il vient donc, en faisant route vers Jérusalem, lui qui est venu du ciel pour nous, alors que nous étions gisants au plus bas, afin de nous élever avec lui, comme l’explique l’Écriture, au-dessus de toutes les puissances et de toutes les forces qui nous dominent, quel que soit leur nom.
Et il vient sans ostentation et sans faste. Car, dit le prophète, il ne protestera pas, il ne criera pas, on n’entendra pas sa voix. Il sera doux et humble, il fera modestement son entrée. ~
Alors, courons avec lui qui se hâte vers sa passion ; imitons ceux qui allèrent au-devant de lui. Non pas pour répandre sur son chemin, comme ils l’ont fait, des rameaux d’olivier, des vêtements ou des palmes. C’est nous-mêmes qu’il faut abaisser devant lui, autant que nous le pouvons, par l’humilité du cœur et la droiture de l’esprit, afin d’accueillir le Verbe qui vient, afin que Dieu trouve place en nous, lui que rien ne peut contenir.
Car il se réjouit de s’être ainsi montré à nous dans toute sa douceur, lui qui est doux, lui qui monte au dessus du couchant, c’est-à-dire au-dessus de notre condition dégradée. Il est venu pour devenir notre compagnon, nous élever et nous ramener vers lui par la parole qui nous unit à Dieu.
Bien que, dans cette offrande de notre nature humaine, il soit monté au sommet des cieux, à l’orient, comme dit le psaume, j’estime qu’il l’a fait en vertu de la gloire et de la divinité qui lui appartiennent. En effet, il ne devait pas y renoncer, à cause de son amour pour l’humanité, afin d’élever la nature humaine au-dessus de la terre, de gloire en gloire, et de l’emporter avec lui dans les hauteurs.
C’est ainsi que nous préparerons le chemin au Christ : nous n’étendrons pas des vêtements ou des rameaux inanimés, des branches d’arbres qui vont bientôt se faner, et qui ne réjouissent le regard que peu de temps. Notre vêtement, c’est sa grâce, ou plutôt c’est lui tout entier que nous avons revêtu : Vous tous que le baptême a unis au Christvous avez revêtu le Christ. C’est nous-mêmes que nous devons, en guise de vêtements, déployer sous ses pas.
Par notre péché, nous étions d’abord rouges comme la pourpre, mais le baptême de salut nous a nettoyés et nous sommes devenus ensuite blancs comme la laine. Au lieu de branches de palmier, il nous faut donc apporter les trophées de la victoire à celui qui a triomphé de la mort.
Nous aussi, en ce jour, disons avec les enfants, en agitant les rameaux qui symbolisent notre vie : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, le roi d’Israël !

Saint André de CrèteHomélie pour le dimanche des Rameaux


Dimanche 26 mars 2023

COMMENTAIRE DE SAINT AUGUSTIN SUR L’ÉVANGILE DE JEAN

« Je suis la résurrection et la vie »

Frères, écoutez, écoutez ce que dit Jésus : Je suis la résurrection et la vie. Toute l’attente des juifs était de voir revivre Lazare, ce mort de quatre jours. Écoutons nous aussi, et ressuscitons avec lui. Il est résurrection, parce qu’il est la vie. Celui qui croit en moi, même s’il est mort, vivra, même s’il est mort comme Lazare, il vivra : parce que Dieu n’est pas le Dieu des morts mais des vivants. C’est la réponse que le Christ fit aux juifs en parlant des patriarches morts depuis longtemps : Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob, non pas Dieu des morts mais des vivants : car tous ont par lui la vie. Crois donc et même si tu es mort, tu vivras ; si au contraire tu ne crois pas, bien que vivant tu es mort.
Un jour, un des disciples du Seigneur voulait différer de le suivre et lui faisait cette demande : Laisse-moi d’abord aller ensevelir mon père. Jésus lui dit : Suis-moi et laisse les morts enterrer leurs morts. Il y avait là un mort à ensevelir et aussi des morts qui allaient ensevelir le mort : l’un était mort dans son corps, les autres dans leur âme.
D’où venait la mort de l’âme ? De l’absence de la foi. D’où venait la mort du corps ? De l’absence de l’âme. La foi est donc l’âme, la vie de notre âme.
Celui qui croit en moi, dit Jésus, même s’il est mort de la mort du corps, vivra de la vie de l’âme jusqu’au jour où son corps ressuscitera pour ne plus mourir, c’est-à-dire celui qui croit en moi, bien qu’il meure, vivra. Et quiconque vit dans la chair et croit en moi, mourût-il pour un temps de la mort du corps, ne mourra pas pour toujours à cause de la vie de son âme et l’immortalité de la résurrection.
Voilà le véritable sens de ces paroles : Celui qui vit et croit en moi, ne mourra jamais. — Crois-tu cela ? Oui Seigneur, lui répondit Marthe, je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu, Celui qui devait venir en ce monde. En croyant cela, j’ai cru que tu es la Résurrection, j’ai cru que tu es la Vie.

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« Lazare, sors et viens » (Jn 11,43)

Le Seigneur prononce cette seule parole : « Lazare, sors et viens » (Jn 11,43), comme un maître qui appelle son serviteur. Quoi donc ? Le serviteur est sorti pour obéir à son maître ? Il est sorti, il n’a pas tardé. L’Hadès n’a pas attendu, la mort ne s’est pas révoltée, les forces d’en bas n’ont pas différé ; elles ont été frappées de crainte, au contraire. L’Hadès, qui retenait Lazare depuis trois jours déjà dans son propre lieu, fut disloqué de partout comme un navire sans chevilles, jusqu’à obtenir la tranquillité. Les puissances d’en bas ne concevaient pas que Lazare finisse par être arraché des lieux souterrains. Mais lorsque la voix du Maître tout à coup descendit dans le tombeau avec une grande lumière et commença aussitôt à faire repousser les cheveux sur la tête de Lazare, à remplir à nouveau de moelle ses os creux, et faire couler le sang vif pour emplir les veines, les puissances d’en bas, frappées de crainte, se crièrent les unes aux autres : « Qui est celui qui appelle ? Quel est ce tout-puissant ? Quel est celui qui façonne à nouveau le vase disloqué ? Quel est celui qui réveille un mort comme d’un sommeil ? Quel est celui qui brise les portes de fer ? Quel est celui qui crie : “Lazare, sors et viens” ? Car sa voix est un son humain, mais sa puissance est une puissance divine. Quel est celui qui l’appelle ? Ce n’est pas un homme. Sa forme est celle d’un home, mais sa voix est celle d’un Dieu. Renvoyons Lazare, faisons-le rapidement remonter, de peur que ne descende ici celui qui l’appelle, de peur que ne descende ici, s’il tarde, celui qui l’appelle. » Les morts commencèrent à tressaillir et à bouger. « Qu’un seul nous fasse tort, disent-ils, afin que nous ne les perdions pas tous ». C’est ainsi que Lazare s’élança hors du sein de l’Hadès, confessant, louant et glorifiant notre Seigneur Jésus Christ.

Homélie attribuée à saint Jean Chrysostome (v. 345-407), prêtre à Antioche puis évêque de Constantinople, docteur de l’Église. Sur Marthe, Marie, Lazare, et le prophète Élie (Le Saint Prophète Élie, coll. Spiritualité orientale n° 53, éd. Bellefontaine, 1992, p. 143 ; rev.)


Dimanche 19 mars 2023

Devenir libre

Aujourd’hui Jésus nous dit : « Je suis venu en ce monde pour rendre un jugement : que ceux qui ne voient pas puissent voir, et que ceux qui voient deviennent aveugles. » À dire vrai, le mot traduit par « jugement » signifie plus exactement « discernement ». Lui-même en un autre endroit de l’Évangile déclare : « Je ne suis pas venu juger le monde, mais le sauver » (Jn 12, 47). Jésus vient non pas pour exercer un « jugement » mais pour nous donner la lumière du discernement : « Moi qui suis la lumière, je suis venu dans le monde pour que celui qui croit en moi ne demeure pas dans les ténèbres » (v. 46). Jésus vient pour un discernement, et l’aveugle guéri prend le relais de Jésus : il opère lui-même un discernement. « Voilà bien ce qui est étonnant, dit-il à ses contradicteurs. Vous ne savez pas d’où il est, et pourtant il m’a ouvert les yeux. Si lui n’était pas de Dieu, il ne pourrait rien faire. »

Jésus ne juge pas, il ne condamne pas. Mais en tant qu’il est la « lumière du monde », il révèle le fond des cœurs. « Si vous étiez aveugles, vous n’auriez pas de péché ; mais du moment que vous dites : Nous voyons, votre péché demeure. » En croyant ou en ne croyant pas au Fils de l’homme, l’homme est révélé : il se juge lui-même. « Si vous étiez aveugles, vous auriez le désir de la lumière. Maintenant vous pensez n’avoir pas besoin de la lumière. Vous restez aveugles. »

C’est tout le contraire pour l’aveugle guéri. Que voit-il ? Jésus lui-même.

Frère Philippe, o.c.d. – Carme déchaux de la Province de Paris, il est actuellement au couvent de Lisieux. / Province des Carmes de Paris, Trésors spirituels du Carmel, Paris, Artège, 2022, p. 115-116.

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« J’étais aveugle, et je vois » (Jn 9,25)

Telle est l’âme pauvre en esprit. Elle reconnaît ses blessures. Elle reconnaît aussi les ténèbres des passions qui l’entourent. Elle recherche continuellement la rédemption qui vient du Seigneur. Elle porte les peines, et ne se réjouit d’aucun des biens qui sont sur la terre. Elle recherche le seul bon médecin et ne se confie qu’à ses soins. Comment donc cette âme blessée sera-t-elle belle, gracieuse et apte à vivre avec le Christ ? Comment, sinon en retrouvant son ancienne création et en reconnaissant clairement ses propres blessures et sa pauvreté ?

Car si l’âme ne se complaît pas dans les blessures et les meurtrissures des passions, si elle ne couvre pas ses propres fautes, le Seigneur ne lui impute pas la cause du mal, mais il vient la soigner, la guérir et rétablir en elle une beauté impassible et incorruptible. Seulement, qu’elle ne choisisse pas de rester attachée à ce qu’elle fait, comme il a été dit ; qu’elle ne se complaise pas dans les passions suscitées en elle, mais que de toute sa force elle appelle le Seigneur, afin qu’il lui donne par son Esprit bon d’être délivrée de toutes les passions. Donc une telle âme est bienheureuse.

Mais malheur à celle qui ne sent pas ses blessures et qui, portée par un grand vice et un endurcissement sans mesure, ne croit pas qu’il y a du mal en elle. Cette âme-là, le bon médecin ne la visite ni ne la soigne. Car elle ne le cherche pas, ni ne se soucie de ses blessures, tant elle considère qu’elle se porte bien et qu’elle est saine. Car il est dit : « Ce ne sont pas ceux qui sont en bonne santé qui ont besoin du médecin, mais ceux qui vont mal » (Mt 9,12).

Homélie attribuée à saint Macaire d’Égypte (?-390) moineChap. 100 (Paraphrase de Syméon le Métaphraste sur les Discours de saint Macaire l’Égyptien ; Philocalie des Pères neptiques, tome II ; trad. J. Touraille, éd. DDB-Lattès, 1995, p. 206 ; rev.)


Dimanche 12 mars 2023

« L’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau jaillissant pour la vie éternelle »

Quand la sainte Écriture nous instruit de la réalité vivifiante, qu’elle nous parle par une prophétie émanant de Dieu : « Ils m’ont abandonné, moi, la source d’eau vive » (Jr 2,13), ou dans les paroles du Seigneur à la Samaritaine : « Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : Donne-moi à boire, peut-être est-ce toi qui le lui demanderais, et il te donnerait l’eau vive » (Jn 4,10), ou encore : « Si quelqu’un a soif qu’il vienne à moi et qu’il boive » car : « Celui qui croit en jailliront de son sein. Il disait cela de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en Lui » (Jn 7,37.39), partout la divine nature est désignée sous le nom d’eau vive. Le témoignage sans mensonge du Verbe atteste que l’Épouse [du Cantique (Ct 4,15)] est un puits d’eau vive, dont le courant descend du Liban. Y a-t-il rien de plus paradoxal ? Alors, en effet, que tous les puits contiennent une eau dormante, seule l’Épouse a en elle une eau courante, en sorte qu’elle a la profondeur du puits et en même temps la mobilité du fleuve. Qui pourrait exprimer convenablement les merveilles indiquées par cette comparaison ? Il semble qu’elle ne puisse s’élever plus haut, puisqu’elle est semblable en tout à la Beauté archétype. Elle imite parfaitement par son jaillissement le jaillissement, par sa vie la vie, par son eau l’eau. Vivant est le Verbe de Dieu, vivante aussi l’âme qui a reçu le Verbe. Cette eau découle de Dieu, selon ce que dit la Source : « Je suis sorti de Dieu, et je suis venu » (Jn 8,42). Et elle-même contient ce qui coule dans le puits de l’âme, et par là elle est le réservoir de cette eau vive qui coule, ou mieux qui ruisselle du Liban (cf. Ct 4,15).

Saint Grégoire de Nysse (v. 335-395), moine et évêque – Le puits d’eau vive (La Colombe et la Ténèbre, trad. Canévet, éd. du Cerf, 1992 ; p. 127-128 ; rev.)

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L’eau vive

Arrive une femme. Elle représente l’Église ; l’Église qui n’était pas encore justifiée, mais déjà appelée à la justification. Car c’est de cela qu’il est question. Elle arrive sans savoir, elle trouve Jésus, et la conversation s’engage.

Voyons comment, voyons pourquoi arrive une femme de Samarie qui venait puiser de l’eau. Les Samaritains n’appartenaient pas au peuple des Juifs, car à l’origine ils étaient des étrangers. ~ C’est un symbole de la réalité qu’arrive de chez les étrangers cette femme qui était l’image de l’Église, car l’Église devait venir aussi des nations païennes, être étrangère à la descendance des Juifs.

Écoutons-la donc : en elle, c’est nous qui parlons ! Reconnaissons-nous en elle et, en elle, rendons grâce à Dieu pour nous. Elle était la figure, non la vérité ; car elle-même a présenté d’abord la figure, et la vérité est venue. Car elle a cru en celui qui, en elle, nous présentait cette préfiguration. Donc, elle venait puiser de l’eau, tout simplement, comme font ordinairement des hommes ou des femmes.

Jésus lui dit : Donne-moi à boire. (En effet, ses disciples étaient partis à la ville pour acheter de quoi manger). La Samaritaine lui dit : Comment, toi qui es Juif, tu me demandes à boire, à moi, une Samaritaine ? En effet, les Juifs ne veulent rien avoir en commun avec les Samaritains.

Vous voyez que c’étaient bien des étrangers : les Juifs n’employaient jamais leurs récipients. Et, parce que cette femme avait emporté une cruche pour puiser l’eau, elle s’étonne de ce qu’un Juif lui demande à boire, ce qui n’était pas la coutume des Juifs. Mais celui qui cherchait à boire avait soif de la foi de cette femme.

Écoute enfin quel est celui qui demande à boire. Jésus lui répondit : Si tu savais le don de Dieu, si tu connaissais celui qui te dit : Donne-moi à boire, c’est toi qui lui aurais demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive. Il demande à boire, et il promet à boire. Il est dans le besoin, comme celui qui va recevoir, et il est dans l’abondance, comme celui qui va combler. Si tu savais le don de Dieu, dit-il. Le don de Dieu, c’est l’Esprit Saint. Mais Jésus parle encore à cette femme de façon cachée et peu à peu il entre dans son cœur. Peut-être l’instruit-il déjà. Qu’y a-t-il de plus doux et de plus bienveillant que cette invitation : Si tu savais le don de Dieu, si tu connaissais celui qui te dit : Donne-moi à boire, c’est peut-être toi qui demanderais, et il te donnerait de l’eau vive. ~

Quelle eau va-t-il lui donner, sinon cette eau dont il est dit : En toi est la source de vie ? Comment auraient-ils soif, ceux qui seront enivrés par les richesses de ta maison ?

Il promettait donc la nourriture substantielle et le rassasiement de l’Esprit Saint, mais la femme ne comprenait pas encore. Et, parce qu’elle ne comprenait pas, que répondait-elle ? La femme lui dit : Seigneur, donne-la moi, cette eau :  que je n’aie plus soif, et que je n’aie plus à venir ici pour puiser. Sa pauvreté l’obligeait à peiner, et sa faiblesse refusait cette peine. Elle aurait dû entendre cette parole : Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos ! Jésus lui disait cela pour qu’elle cesse de peiner. Mais elle ne comprenait pas encore.

Saint Augustin, Commentaire sur l’évangile de Jean


Dimanches 26 février et 5 mars 2023 (1er et 2è dimanches de carême)

HOMÉLIE DE SAINT AUGUSTIN SUR LE PSAUME 60

Dans le Christ, c’est nous qui sommes tentés

Entends ma plainte, Seigneur, écoute ma prière. Qui donc parle ? Il semble que ce soit un seul homme. Regarde si c’est un seul : Des extrémités de la terre, je crie vers toi, parce que mon cœur est angoissé. Il n’est donc plus un seul désormais ; mais il est un seul parce que le Christ est unique, et pourtant nous sommes tous ses membres. Car, est-ce qu’un seul homme crie des extrémités de la terre ? Ce qui crie des extrémités de la terre ne peut être que cet héritage au sujet duquel le Père a entendu cette parole : Demande, et je te donne les nations en héritage, les extrémités de la terre pour domaine.
Ce domaine du Christ, cet héritage du Christ, ce corps du Christ, cette unique Église du Christ, cette unité que nous sommes, c’est elle qui crie des extrémités de la terre. Mais que crie-t-elle ? Ce que j’ai dit tout à l’heure : Entends ma plainte, Seigneur, écoute ma prière ; des extrémités de la terre, je crie vers toi. J’ai crié cela vers toi des extrémités de la terre, c’est-à-dire de partout.
Mais pourquoi ai-je crié cela ? Parce que mon cœur est angoissé. Le corps du Christ montre qu’il est, à travers toutes les nations, sur toute la terre, non pas dans une grande gloire, mais dans une grande épreuve.
Dans son voyage ici-bas, notre vie ne peut pas échapper à l’épreuve de la tentation, car notre progrès se réalise par notre épreuve ; personne ne se connaît soi-même sans avoir été éprouvé, ne peut être couronné sans avoir vaincu, ne peut vaincre sans avoir combattu, et ne peut combattre s’il n’a pas rencontré l’ennemi et les tentations.
Il est donc angoissé, celui qui crie des extrémités de la terre, mais il n’est pas abandonné. Car le Christ a voulu nous préfigurer, nous qui sommes son corps, dans lequel il est mort, est ressuscité et monté au ciel ; c’est ainsi que la Tête a pénétré la première là où les membres sont certains de pouvoir la suivre.
Il nous a donc transfigurés en lui, quand il a voulu être tenté par Satan. On lisait tout à l’heure dans l’évangile que le Seigneur Jésus Christ, au désert, était tenté par le diable. Parfaitement ! Le Christ était tenté par le diable ! Dans le Christ, c’est toi qui étais tenté, parce que le Christ tenait de toi sa chair, pour te donner le salut ; tenait de toi la mort, pour te donner la vie ; tenait de toi les outrages, pour te donner les honneurs ; donc il tenait de toi la tentation, pour te donner la victoire.
Si c’est en lui que nous sommes tentés, c’est en lui que nous dominons le diable. Tu remarques que le Christ a été tenté, et tu ne remarques pas qu’il a vaincu ? Reconnais que c’est toi qui es tenté en lui ; et alors reconnais que c’est toi qui es vainqueur en lui. Il pouvait écarter de lui le diable ; mais, s’il n’avait pas été tenté, il ne t’aurait pas enseigné, à toi qui dois être soumis à la tentation, comment on remporte la victoire.

Saint Augustin

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SERMON DE SAINT LÉON LE GRAND POUR LE 2° DIMANCHE DE CARÊME

La Transfiguration

Le Seigneur découvre sa gloire devant les témoins qu’il a choisis, et il éclaire d’une telle splendeur cette forme corporelle qu’il a en commun avec les autres hommes que son visage a l’éclat du soleil et que ses vêtements sont aussi blancs que la neige.
Par cette transfiguration il voulait avant tout prémunir ses disciples contre le scandale de la croix et, en leur révélant toute la grandeur de sa dignité cachée, empêcher que les abaissements de sa passion volontaire ne bouleversent leur foi.
Mais il ne prévoyait pas moins de fonder l’espérance de l’Église, en faisant découvrir à tout le corps du Christ quelle transformation lui serait accordée ; ses membres se promettraient de partager l’honneur qui avait resplendi dans leur chef.
Le Seigneur lui-même avait déclaré à ce sujet, lorsqu’il parlait de la majesté de son avènement : Alors les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur Père. Et l’Apôtre saint Paul atteste lui aussi : J’estime qu’il n’y a pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire que le Seigneur va bientôt révéler en nous. Et encore : Vous êtes morts avec le Christ, et votre vie reste cachée avec lui en Dieu. Quand paraîtra le Christ qui est votre vie, alors, vous aussi, vous paraîtrez avec lui en pleine gloire. Cependant, pour confirmer les Apôtres et les introduire dans une complète connaissance, un autre enseignement s’est ajouté à ce miracle.
En effet, Moïse et Élie, c’est-à-dire la Loi et les Prophètes, apparurent en train de s’entretenir avec le Seigneur. Ainsi, par la réunion de ces cinq hommes s’accomplirait de façon certaine la prescription : Toute parole est garantie par la présence de deux ou trois témoins.
Qu’y a-t-il donc de mieux établi, de plus solide que cette parole ? La trompette de l’Ancien Testament et celle du Nouveau s’accordent à la proclamer ; et tout ce qui en a témoigné jadis s’accorde avec l’enseignement de l’Évangile.
Les écrits de l’une et l’autre Alliance, en effet, se garantissent mutuellement ; celui que les signes préfiguratifs avaient promis sous le voile des mystères, est montré comme manifeste et évident par la splendeur de sa gloire présente. Comme l’a dit saint Jean, en effet : Après la Loi communiquée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ. En lui s’est accomplie la promesse des figures prophétiques comme la valeur des préceptes de la Loi, puisque sa présence enseigne la vérité de la prophétie, et que sa grâce rend praticables les commandements. ~
Que la foi de tous s’affermisse avec la prédication de l’Évangile, et que personne n’ait honte de la croix du Christ, par laquelle le monde a été racheté.
Que personne donc ne craigne de souffrir pour la justice, ni ne mette en doute la récompense promise ; car c’est par le labeur qu’on parvient au repos, par la mort qu’on parvient à la vie. Puisque le Christ a accepté toute la faiblesse de notre pauvreté, si nous persévérons à le confesser et à l’aimer, nous sommes vainqueurs de ce qu’il a vaincu et nous recevons ce qu’il a promis. Qu’il s’agisse de pratiquer les commandements ou de supporter l’adversité, la voix du Père que nous avons entendue tout à l’heure doit retentir sans cesse à nos oreilles : Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui j’ai mis tout mon amour ; écoutez-le !

Saint Léon le Grand


Dimanche 19 février 2023

Aimez vos ennemis

Dans l’Évangile, le Seigneur explique en quoi consiste son commandement nouveau. Il dit en saint Matthieu : « Vous avez appris qu’il a été dit : Vous aimerez votre ami et vous haïrez votre ennemi. Pour moi je vous dis : aimez vos ennemis, priez pour ceux qui vous persécutent. » Sans doute, au Carmel on ne rencontre pas d’ennemis, mais enfin il y a des sympathies, on se sent attirée vers telle sœur au lieu que telle autre vous ferait faire un long détour pour éviter de la rencontrer, ainsi sans même le savoir, elle devient un sujet de persécution. Eh bien ! Jésus me dit que cette sœur, il faut l’aimer, qu’il faut prier pour elle, quand même sa conduite me porterait à croire qu’elle ne m’aime pas : « Si vous aimez ceux qui vous aiment, quel gré vous en saura-t-on ? car les pécheurs aiment aussi ceux qui les aiment » (Lc 6, 32). Et ce n’est pas assez d’aimer, il faut le prouver. On est naturellement heureux de faire un présent à un ami, on aime surtout à faire des surprises, mais cela, ce n’est point de la charité car les pécheurs le font aussi. Voici ce que Jésus m’enseigne encore : « Donnez à quiconque vous demande ; et si l’on prend ce qui vous appartient, ne le redemandez pas. » Donner à toutes celles qui demandent, c’est moins doux que d’offrir soi-même par le mouvement de son cœur ; encore lorsqu’on demande gentiment cela ne coûte pas de donner, mais si par malheur on n’use pas de paroles assez délicates, aussitôt l’âme se révolte si elle n’est pas affermie sur la charité. Elle trouve mille raisons pour refuser ce qu’on lui demande et ce n’est qu’après avoir convaincu la demandeuse de son indélicatesse qu’elle lui donne enfin par grâce ce qu’elle réclame, ou qu’elle lui rend un léger service qui aurait demandé vingt fois moins de temps à remplir qu’il n’en a fallu pour faire valoir des droits imaginaires.

Ste Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte-Face († 1897), docteur de l’Église, est très populaire par son exemple de sainteté et son message spirituel délivré dans ses écrits. / Manuscrits autobiographiques, Office central de Lisieux [1957], Seuil, coll. « Points », p. 263-264.

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CENTURIES DE SAINT MAXIME LE CONFESSEUR
SUR LA CHARITÉ

En dehors de l’amour, tout est vain
L’amour de Dieu est une excellente disposition de l’âme qui lui fait estimer plus que tout la connaissance de Dieu. Et il est impossible de parvenir à la possession habituelle de cet amour si l’on demeure attaché à n’importe quel bien terrestre. ~
Celui qui aime Dieu estime sa connaissance plus que toutes ses créatures et, dans son désir, il ne cesse de la poursuivre.
Puisque tout ce qui existe n’est créé que par Dieu et pour Dieu, et puisque Dieu est supérieur à ce qui a été créé par lui, l’homme qui abandonne Dieu, l’être incomparablement meilleur, pour s’adonner à ce qui est en dessous de lui, celui-là montre qu’il estime les créatures de Dieu plus que Dieu même.
Celui qui m’aime, dit le Seigneur, restera fidèle à mes commandements. Et mon commandement, dit-il, c’est que vous vous aimiez les uns les autres. Donc celui qui n’aime pas son prochain ne reste pas fidèle au commandement. Et celui qui ne reste pas fidèle au commandement ne peut pas aimer le Seigneur.
Heureux l’homme capable d’aimer tous les hommes également.
Celui qui aime Dieu aime aussi pleinement son prochain. Un tel homme ne peut garder ses richesses, mais il les répartit à la manière de Dieu, en les donnant à chacun de ceux qui en ont besoin.
Celui qui fait l’aumône à l’imitation de Dieu ne fait aucune différence entre bon et méchant, juste et injuste, lorsqu’ils sont dans la nécessité ; il distribue également à tous, selon leurs besoins, même s’il estime le vertueux, à cause de sa bonne intention, plus que le méchant.
Non seulement l’amour se manifeste en distribuant les richesses, mais bien davantage en distribuant la parole de Dieu et en se mettant personnellement au service d’autrui.
Celui qui a réellement renoncé aux biens de ce monde et se fait serviteur de son prochain sincèrement, par amour, bientôt délivré de toute passion, devient participant de l’amour et de la connaissance divines.
Celui qui possède en soi l’amour divin n’a aucune peine à suivre de près le Seigneur son Dieu, selon Jérémie, mais supporte généreusement labeur, injures et mauvais traitements, sans vouloir aucun mal à personne.
Ne dites pas, conseille Jérémie : Nous sommes le temple du Seigneur. Quant à toi, ne dis pas : La foi seule en notre Seigneur Jésus Christ peut me sauver, car cela est impossible si, par tes œuvres, tu n’acquiers pas l’amour envers lui. Croire seulement ? Mais les démons ont la foi, et ils tremblent !
L’œuvre de l’amour, c’est d’être disposé envers le prochain à la bienfaisance, à la patience, à l’endurance ; et c’est d’employer ses biens selon la droite raison.


Dimanche 12 février 2023

Le mystère de la Sagesse cachée

La sagesse de Dieu se trouve en Dieu et de tout temps elle a reçu à travers lui son caractère déterminé. Elle est prête bien avant que nous le soyons. Prête et cachée, en même temps gardée par Dieu en lui-même, insérée dans son mystère. On ne peut la découvrir sans s’approcher de la sphère du mystère de Dieu, sans avoir auparavant découvert la nature mystérieuse de Dieu ; et ainsi, elle se dévoile en union avec le mystère. Quiconque rejette le mystère ne trouvera jamais la sagesse de Dieu. Le mystère ne ressemble pas à une cassette que l’on pourrait s’accaparer avec son contenu pour ensuite s’approprier le contenu et rejeter la cassette. Sagesse et mystère forment une unité permanente. La sagesse livre toujours plus le mystère, mais le mystère livre aussi toujours plus la sagesse.

Puisque c’est un mystère originel, un mystère que Dieu a préparé de toute éternité – avant la séparation des temps – il se trouve que toute la création temporelle repose sur le mystère d’amour du Père. Car le Père nous aimait avant que nous soyons, de même que le Fils nous aimait dans le Père avant que nous soyons, et que l’Esprit qui anime Paul et par lequel il parle – l’Esprit qui lui a inspiré la parole de prédication lui confère son ministère et lui révèle le mystère – nous a aimés de toute éternité dans le Père et le Fils, et nous révèle cet amour à travers l’apôtre.

Adrienne von SpeyrLaïque et médecin suisse, protestante convertie au catholicisme en 1940, Adrienne von Speyr († 1967) fut une grande mystique. Collaboratrice du théologien Hans Urs von Balthasar, elle fonda avec lui un institut séculier, la communauté Saint-Jean, en 1944. / Première épître aux Corinthiens I, Lessius, Bruxelles, 1999, p. 56.59.

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COMMENTAIRE DE SAINT ÉPHREM SUR L’ÉVANGILE

La parole de Dieu est une source inépuisable.

Qui donc est capable de comprendre toute la richesse d’une seule de tes paroles, Seigneur ? Ce que nous en comprenons est bien moindre que ce que nous en laissons ; comme des gens assoiffés qui boivent à une source. Les perspectives de ta parole sont nombreuses, comme sont nombreuses les orientations de ceux qui l’étudient. Le Seigneur a coloré sa parole de multiples beautés, pour que chacun de ceux qui la scrutent puisse contempler ce qu’il aime. Et dans sa parole il a caché tous les trésors, pour que chacun de nous trouve une richesse dans ce qu’il médite.
La parole de Dieu est un arbre de vie qui, de tous côtés, te présente des fruits bénis ; elle est comme ce rocher qui s’est ouvert dans le désert pour offrir à tous les hommes une boisson spirituelle. Selon l’Apôtre, ils ont mangé un aliment spirituel, ils ont bu à une source spirituelle.
Celui qui obtient en partage une de ces richesses ne doit pas croire qu’il y a seulement, dans la parole de Dieu, ce qu’il y trouve. Il doit comprendre au contraire qu’il a été capable d’y découvrir une seule chose parmi bien d’autres. Enrichi par la parole, il ne doit pas croire que celle-ci est appauvrie ; incapable de l’épuiser, qu’il rende grâce pour sa richesse. Réjouis-toi parce que tu es rassasié, mais ne t’attriste pas de ce qui te dépasse. Celui qui a soif se réjouit de boire, mais il ne s’attriste pas de ne pouvoir épuiser la source. Que la source apaise ta soif, sans que ta soif épuise la source. Si ta soif est étanchée sans que la source soit tarie, tu pourras y boire à nouveau, chaque fois que tu auras soif. Si au contraire, en te rassasiant, tu épuisais la source, ta victoire deviendrait ton malheur.
Rends grâce pour ce que tu as reçu et ne regrette pas ce qui demeure inutilisé. Ce que tu as pris et emporté est ta part ; mais ce qui reste est aussi ton héritage. Ce que tu n’as pas pu recevoir aussitôt, à cause de ta faiblesse, tu le recevras une autre fois, si tu persévères. N’aie donc pas la mauvaise pensée de vouloir prendre d’un seul trait ce qui ne peut être pris en une seule fois ; et ne renonce pas, par négligence, à ce que tu es capable d’absorber peu à peu.


Dimanche 5 février 2023

Pour le meilleur, seulement, uniquement…

Pour expliquer à ses disciples ce qu’ils seront au cœur du monde, Jésus emploie deux images simples mais suggestives : ils seront sel et lumière ; le sel de la terre, la lumière du monde.

Ces deux images ont un élément commun : elles disent la nécessité absolue de la présence de chrétiens au sein du monde : sans sel, celui-ci perdrait sa saveur ; sans lumière, il serait plongé dans les ténèbres.

Le sel, pour répandre sa saveur, doit se cacher dans les aliments et accepter de s’y dissoudre. La lumière, au contraire, sera mise sur un lampadaire pour briller devant tous ceux qui sont dans la maison. Le sel est discret, presque invisible ; la lumière brille et demande à être vue, dit Jésus, afin que les hommes « en voyant ce que vous faites de bien, rendent gloire à votre Père ».

Sel et lumière, la saveur de Dieu et la brillance de Dieu, nous le sommes vraiment, frères et sœurs, sans le savoir, et la plupart du temps sans l’avoir cherché. Comment être sûr de posséder la saveur de Dieu en soi ? Car il est possible de ne rien en goûter soi-même, et cependant de la distiller parmi les autres, à son insu. Dieu agit ainsi. Et comment oser ambitionner de nous hisser par nous-mêmes sur un candélabre ? Mais là encore, il peut arriver que l’on tâtonne soi-même dans la nuit tout en étant source de lumière pour les autres. Dieu agit ainsi. C’est là son savoir-faire. À nous, il suffit de demeurer solidement greffés sur Jésus, attachés à lui, saveur du monde et lumière du monde.

André Louf, o.c.s.o. († 2010), moine trappiste, fut père abbé de l’abbaye du Monts-des-Cats jusqu’en 1997, date à laquelle il rendit sa charge et devint ermite en Provence. / Homélies pour les dimanches de l’année A, Desclée de Brouwer, 1998, p. 131-133.

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« Que votre lumière brille »

C’est une création du monde que la fondation de l’Église : en elle, selon l’expression du prophète (cf. Is 65,17), un ciel nouveau est créé ─ qui est « la solidité de la foi au Christ » (Col 2,5), comme le dit Paul ─ , une terre nouvelle est fondée « qui boit la pluie descendue sur elle » (He 6,7), un autre homme est façonné qui est renouvelé par la naissance d’en haut, à l’image de son Créateur ; la nature des astres devient tout autre, eux dont il est dit : « Vous êtes la lumière du monde » (Mt 5,14) et : « Là où vous brillez comme les lumières du monde » (Ph 2,15), et comme des astres nombreux qui montent dans le firmament de la foi. Il n’est pas étonnant qu’il y ait dans ce monde nouveau une multitude d’astres dénombrée et dénommée par Dieu. Et le Créateur de pareils astres dit que leur nom est écrit dans les cieux ─ c’est ainsi que je comprends la parole du démiurge de cette nouvelle création : « Vos noms sont écrits dans les cieux » (Lc 10,20). La multitude des astres que le Verbe y crée n’est pas le seul paradoxe de cette nouvelle création : il y a encore le nombre de soleils créés qui éclairent toute la terre habitée des rayons de leurs bonnes œuvres, comme le dit l’Auteur de ces soleils : « Que votre lumière brille à la face des hommes » (Mt 5,14), et : « Alors les justes brilleront comme le soleil » (Mt 13,43). De même que l’homme qui observe le monde sensible et qui a connu la sagesse manifestée par la beauté de ses réalités, en déduit, à partir de ce qu’il voit, la beauté invisible et la source de cette sagesse dont l’écoulement établit la nature des êtres, de même celui qui porte ses regards sur ce monde nouveau de la création de l’Église voit dans ce monde Celui qui est et devient tout en tous, et il conduit, par le chemin des réalités finies et compréhensibles, sa connaissance jusqu’à l’incompréhensible.

Saint Grégoire de Nysse (v. 335-395), moine et évêque, La fondation de l’Église (La Colombe et la Ténèbre, trad. Canévet, éd. du Cerf, 1992 ; p. 183-184 ; rev.)


Dimanche 29 janvier 2023

Saint Thomas d’Aquin, prêtre dominicain, Docteur de l’Eglise.

Tommaso d’Aquino naît en 1225, dans une noble famille napolitaine. Élevé à l’abbaye bénédictine du Mont-Cassin, Thomas choisit, cependant, à 19 ans, d’entrer chez les Frères prêcheurs. Ce n’est guère du goût de sa famille, qui le fait enlever et enfermer. L’ordre dominicain est un ordre mendiant, fondé quelques années plus tôt, et il n’avait pas bonne presse dans l’aristocratie.

Au bout d’un an, Thomas peut enfin suivre sa vocation. On l’envoie à Paris pour y suivre les cours de la bouillonnante Université. Il a comme professeur saint Albert le Grand. Pour ce dernier, il faut faire confiance à la raison et à l’intelligence de l’homme pour chercher Dieu. Le philosophe le plus approprié à cette recherche est Aristote. Thomas retient la leçon.

Devenu professeur, il s’attelle à un gigantesque travail pour la mettre en œuvre. Connaissant très bien Aristote et ses commentateurs, mais aussi la Bible et la tradition patristique chrétienne, il élabore une pensée originale, qu’il expose dans de multiples ouvrages, dont le plus connu est la « Summa Theologiae» (Somme Théologique).

Comme professeur, il doit aussi soutenir de véhémentes controverses avec des intellectuels chevronnés. Il voyage aussi à la demande des papes. Mais c’est l’étude qui a toute sa faveur : à la possession de « Paris la grande ville », il dit préférer « le texte correct des homélies de saint Jean Chrysostome sur l’évangile de saint Matthieu ».

Il meurt sur la route qui le conduisait au Concile de Lyon, le 7 mars 1274, dans l’abbaye cistercienne de Fossanova (dans la région du Latium).

On célèbre sa mémoire au jour anniversaire du transfert de son corps au couvent des dominicains de Toulouse, les Jacobins, en 1369.

Il est le saint patron de l’Enseignement catholique.

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« Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux. » (Mt 5,3)

Quels sont ceux que Notre-Seigneur appelle les pauvres en esprit (Mt 5,3) ? Ceux qui ne sont propriétaires ni en esprit, ni dans le cœur, ni dans la volonté ; mais qui ne veulent rien tenir que de Dieu. Chaque jour, ils déposent au pieds du Christ, jugement, manière de voir, volonté, tout. Ils lui disent : « Je ne veux rien avoir de moi ; je ne veux posséder que ce qui vient de vous ; je ne veux faire que ce que de toute éternité vous avez, comme Verbe, décidé pour moi : réaliser l’idéal divin qui est en vous à mon sujet ». (…) Tâchons de faire en sorte, par la prière et par un regard toujours fixé sur notre modèle, que le surnaturel fournisse tous nos mobiles pour que le nom du Père soit sanctifié, que son règne arrive, que sa volonté se fasse : alors toute notre vie sera vraiment divinisée. Alors aussi toute notre vie, retournant à Dieu, sera devenue comme une louange incessante, extrêmement agréable à notre Père céleste. Éclairés, inspirés, mûs par son Verbe et son Esprit, nous pourrons dire : « Le Seigneur me dirige » (cf. Rm 8,14). Et aussitôt nous ajouterons avec le psalmiste : « Rien ne me manquera » (Ps 22,1). Car le Père, n’apercevant en nous que ce qui vient de lui, de la grâce de son Fils, de l’inspiration de son Esprit, nous voyant selon son désir, unis en toute chose à son Fils, nous embrasse de la complaisance même qu’il porte à son propre Fils et nous comble des richesses inépuisables de son Royaume. Notre œuvre à nous a été de nous dépouiller de nous-même pour nous laisser mener à Dieu par le Christ. (…) Toutes les bénédictions dont est comblé le Fils deviennent notre part et notre héritage. Dieu abandonne au néant de leur prétendues richesses ceux qui, croyant posséder, se reposent en eux-mêmes ; mais sa miséricorde infinie comble des biens d’en haut la misère qui n’espère qu’en lui (cf. Lc 1,53).

Bienheureux Columba Marmion (1858-1923), abbé

La pauvreté (Le Christ Idéal du Moine, éd. DDB, 1936 ; p.275-276 ; rev.)


Dimanche 22 janvier 2023

Nous sommes les envoyés de Dieu au monde

Un jour de plus commence. Jésus en moi veut le vivre. Il ne s’est pas enfermé. Il a marché parmi les hommes. Avec moi il est parmi les hommes d’aujourd’hui. Il va rencontrer chacun de ceux qui entreront dans la maison, chacun de ceux que je croiserai dans la rue, d’autres riches que ceux de son temps, d’autres pauvres, d’autres savants et d’autres ignorants, d’autres petits et d’autres vieillards, d’autres saints et d’autres pécheurs, d’autres valides et d’autres infirmes. Tous seront ceux qu’il est venu chercher. Chacun, celui qu’il est venu sauver. (…) Tout sera permis dans le jour qui va venir, tout sera permis et demandera que je dise oui. Le monde où il me laisse pour y être avec moi ne peut m’empêcher d’être avec Dieu ; comme un enfant porté sur les bras de sa mère n’est pas moins avec elle parce qu’elle marche dans la foule. Jésus, partout, n’a cessé d’être envoyé. Nous ne pouvons pas faire que nous ne soyons, à chaque instant, les envoyés de Dieu au monde. Jésus en nous ne cesse pas d’être envoyé, au long de ce jour qui commence, à toute humanité, de notre temps, de tous les temps, de ma ville et du monde entier. À travers les proches frères qu’il nous fera servir, aimer, sauver, des vagues de sa charité partiront jusqu’au bout du monde, iront jusqu’à la fin des temps.

Vénérable Madeleine Delbrêl (1904-1964) missionnaire des gens des rues. Le nouveau jour (La joie de croire, éd. du Seuill, 1968, p. 133-134 ; rev.)

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ACTES DU IIe CONCILE DU VATICAN – La Liturgie

Présence du Christ à son Église dans la Liturgie

Le Christ est toujours là auprès de son Église, surtout dans les actions liturgiques. Il est là présent dans le sacrifice de la messe : dans la personne du ministre, car « celui qui offre maintenant par le ministère des prêtres, est celui-là même qui s’offrit alors lui-même sur la croix. » Il est présent surtout sous les espèces eucharistiques. Il est là présent par sa vertu dans les sacrements au point que, lorsque quelqu’un baptise, c’est lui qui baptise. Il est là présent dans sa parole, car c’est lui qui parle tandis qu’on lit dans l’Église les Saintes Écritures. Enfin il est là présent lorsque l’Église prie et chante les psaumes, lui qui a promis : Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux.
Effectivement, pour l’accomplissement de cette grande œuvre par laquelle Dieu est parfaitement glorifié et les hommes sanctifiés, le Christ s’associe toujours l’Église, son Épouse bien-aimée qui l’invoque comme son Seigneur et qui passe par lui pour rendre son culte au Père éternel.
C’est donc à juste titre que la liturgie est considérée comme l’exercice de la fonction sacerdotale de Jésus Christ, exercice dans lequel la sanctification de l’homme est signifiée par des signes sensibles et est réalisée d’une manière propre à chacun d’eux. Là, le culte public intégral est exercé par le Corps mystique de Jésus Christ, c’est-à-dire par le Chef et par ses membres.
Par suite, toute célébration liturgique, en tant qu’œuvre du Christ prêtre et de son Corps qui est l’Église, est une action sacrée par excellence, dont nulle autre action de l’Église ne peut égaler l’efficacité au même titre et au même degré.
Dans la liturgie terrestre, nous participons, par un avant-goût, à cette liturgie céleste qui se célèbre dans la sainte Cité de Jérusalem à laquelle nous tendons comme des voyageurs ; c’est là que le Christ siège à la droite de Dieu comme ministre du vrai sanctuaire et de la véritable tente. Avec toute l’armée des chœurs célestes, nous chantons au Seigneur l’hymne de gloire ; en vénérant la mémoire des saints, nous espérons partager leur société ; nous attendons comme sauveur le Seigneur Jésus Christ, jusqu’au moment où il paraîtra, lui, notre vie, et où, nous aussi, nous paraîtrons avec lui en pleine gloire.
L’Église célèbre le mystère pascal, en vertu d’une tradition apostolique qui remonte au jour même de la résurrection du Christ, chaque huitième jour, qui est nommé à bon droit « jour du Seigneur » ou dimanche. Ce jour-là, en effet, les fidèles doivent se rassembler pour que, en entendant la parole de Dieu et en participant à l’Eucharistie, ils se souviennent de la passion, de la résurrection et de la gloire du Seigneur Jésus ; pour qu’ils rendent grâce à Dieu qui les a fait renaître, grâce à la résurrection de Jésus Christ, pour une vivante espérance. Aussi le jour dominical est-il le jour de fête primordial, qu’il faut proposer et inculquer à la piété des fidèles, de sorte qu’il devienne aussi jour de joie et de cessation du travail. Les autres célébrations, à moins qu’elles ne soient véritablement de la plus haute importance, de doivent pas l’emporter sur lui, car il est le fondement et le noyau de toute l’année liturgique.


Dimanche 15 janvier 2023

Y aurait-il prescription pour le pardon ?

Peut-être la durée constitue-t-elle un préjudice pour quelqu’un en sorte que, comme après un délai de trente ans, il n’est permis à personne selon les lois humaines de recouvrer ce qui a été perdu, de même selon les lois divines, après de longs temps de péchés, il ne serait pas permis de demander l’indulgence ? Loin de nous l’idée de trouver chez notre Dieu ce que l’humaine condition connaît dans ses procès ! Car notre Dieu est miséricordieux et bon comme il est infini et invaincu. Ainsi la bonté d’un être invaincu n’est pas vaincue, et la miséricorde d’un être infini n’est pas finie.

Tout le temps de la vie présente est approprié à la conversion. Aucune longueur de temps ne constitue un jugement préalable pour l’équité ou à la piété divine. La pénitence n’est jamais tardive auprès de Dieu au regard duquel les fautes passées aussi bien que futures sont considérées comme présentes. Si l’étalement des péchés dans le temps l’emportait sur la miséricorde de Dieu, le Christ ne serait pas venu au dernier âge du monde pour enlever les péchés du monde en passe de périr, lui dont Jean dit : Voici l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde.

Il est donc bon pour nous de nous réfugier vers la miséricorde de celui dont nous ne pouvons fuir la justice. Dieu n’a pas imposé de moment à l’homme, aussi longtemps qu’il est dans cette vie d’ici-bas, où il ne puisse pardonner à un converti ; au contraire, il a assigné chaque moment de notre vie présente à notre conversion.

St Fulgence de Ruspe († 533) fut évêque de Ruspe, en Afrique du Nord. / Lettre 7 à Venantia, 9-13, trad. D. Bachelet, Paris, Cerf, 2004, Sources Chrétiennes 484, p. 269-175.

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Ô Agneau de Dieu, caché parmi les hommes !

Ô inconcevable bonté de Dieu qui nous protège à chaque pas, qu’un honneur sans fin soit rendu à Ta miséricorde, pour avoir fraternisé non pas avec les anges, mais avec les hommes – c’est là un miracle du mystère insondable de Ta miséricorde. Notre entière confiance est en Toi, Jésus-Christ, notre Frère aîné, Dieu véritable et Homme véritable.

Mon cœur frémit de joie en voyant combien Dieu est bon pour nous, si misérables et ingrats, et comme preuve de son amour, Il nous fait un don inconcevable, c’est-à-dire Lui-même, en la Personne de Son Fils. Nous ne saurons, durant toute l’éternité, épuiser le mystère de cet amour.

Ô humanité, pourquoi penses-tu si peu que Dieu est véritablement parmi nous ? Ô Agneau de Dieu, je ne sais ce qu’il faut admirer le plus en Toi : Ta douceur, Ta vie cachée et Ton anéantissement pour l’homme, ou bien cet incessant miracle de Ta miséricorde qui transforme les âmes et les ressuscite à la vie éternelle. Bien que Tu sois ainsi caché, Ta toute-puissance se révèle ici plus que dans la création de l’homme ; bien que la toute-puissance de Ta miséricorde agisse pour la justification du pécheur, Ton action reste silencieuse et cachée.

Sainte Faustine Kowalska (1905-1938), religieuse – Petit journal, § 1584 (Petit journal, la Miséricorde divine dans mon âme ; trad. Apostolat de la Miséricorde divine ; Parole et Dialogue, 2002, p. 525)


Dimanche 8 janvier 2023

Dans tout l’univers, le Seigneur a fait connaître son salut
La miséricordieuse providence de Dieu a voulu, sur la fin des temps, venir au secours du monde en détresse. Elle décida que le salut de toutes les nations se ferait dans le Christ.
C’est à propos de ces nations que le saint patriarche Abraham, autrefois, reçut la promesse d’une descendance innombrable, engendrée non par la chair, mais par la foi ; aussi est-elle comparée à la multitude des étoiles, car on doit attendre du père de toutes les nations une postérité non pas terrestre, mais céleste.
Que l’universalité des nations entre donc dans la famille des patriarches ; que les fils de la promesse reçoivent la bénédiction en appartenant à la race d’Abraham, ce qui les fait renoncer à leur filiation charnelle. En la personne des trois mages, que tous les peuples adorent le Créateur de l’univers ; et que Dieu ne soit plus connu seulement en Judée, mais sur la terre entière afin que partout, comme en Israël, son nom soit grand.
Mes bien-aimés, instruits par les mystères de la grâce divine, célébrons dans la joie de l’Esprit le jour de nos débuts et le premier appel des nations. Rendons grâce au Dieu de miséricorde qui, selon saint Paul, nous a rendus capables d’avoir part, dans la lumière, à l’héritage du peuple saint ; qui nous a arrachés au pouvoir des ténèbres, et nous a fait entrer dans le royaume de son Fils bien-aimé. Ainsi que l’annonça le prophète Isaïe : Le peuple des nations, qui vivait dans les ténèbres, a vu se lever une grande lumière, et sur ceux qui habitaient le pays de l’ombre, une lumière a resplendi. Le même prophète a dit à ce sujet : Les nations qui ne te connaissaient pas t’invoqueront ; et les peuples qui t’ignoraient accourront vers toi. Ce jour-là, Abraham l’a vu, et il s’est réjoui lorsqu’il découvrit que les fils de sa foi seraient bénis dans sa descendance, c’est-à-dire dans le Christ ; lorsqu’il aperçut dans la foi qu’il serait le père de toutes les nations ; il rendait gloire à Dieu, car il était pleinement convaincu que Dieu a la puissance d’accomplir ce qu’il a promis.
Ce jour-là, David le chantait dans les psaumes : Toutes les nations, toutes celles que tu as faites, viendront t’adorer, Seigneur, et rendre gloire à ton nom. Et encore : Le Seigneur a fait connaître son salut, aux yeux des païens révélé sa justice.
Nous savons bien que tout cela s’est réalisé quand une étoile guida les trois mages, appelés de leur lointain pays, pour leur faire connaître et adorer le Roi du ciel et de la terre. Cette étoile nous invite toujours à suivre cet exemple d’obéissance et à nous soumettre, autant que nous le pouvons, à cette grâce qui attire tous les hommes vers le Christ.
Dans cette recherche, mes bien-aimés, vous devez tous vous entraider afin de parvenir au royaume de Dieu par la foi droite et les bonnes actions, et d’y resplendir comme des fils de lumière ; par Jésus Christ notre Seigneur, qui vit et règne avec le Père et le Saint-Esprit, pour les siècles des siècles. Amen.

Saint Léon le Grand Sermon pour l’Epiphanie

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L’étoile

Aujourd’hui, le Messie, qui se manifesta à Bethléem à d’humbles pasteurs de la région, continue à se révéler comme la lumière des peuples de chaque époque et de chaque lieu. Pour les Mages, venus d’Orient l’adorer, la lumière du « roi des Juifs qui vient de naître » prend la forme d’un astre céleste, si éclatant qu’il attire leurs regards et les guide jusqu’à Jérusalem. Elle les place ainsi sur les traces des antiques prophéties messianiques : Un astre issu de Jacob devient chef, un sceptre se lève, issu d’Israël (Nb 24, 17).

Combien le symbole de l’étoile, qui revient dans toute l’iconographie de Noël et de l’Épiphanie, est suggestif ! Aujourd’hui encore, il évoque des sentiments profonds même si, comme tant d’autres signes sacrés, il risque parfois de devenir banal en raison de l’usage lié à la consommation qui en est fait par la société. Toutefois, replacée dans son contexte d’origine, l’étoile que nous contemplons dans la crèche parle également à l’esprit et au cœur de l’homme du troisième millénaire. Elle parle à l’homme sécularisé, réveillant en lui la nostalgie de sa condition de voyageur à la recherche de la vérité et désireux d’absolu. L’étymologie même du verbe « désirer » évoque l’expérience des navigateurs, qui s’orientent la nuit en observant les astres, qui en latin s’appellent « sidera ».

Qui ne ressent pas le besoin d’avoir une « étoile » qui le guide le long de son chemin sur terre ?

St Jean-Paul II, pape de 1978 à 2005, canonisé en 2014. / Homélie du 6 janvier 2002, Librairie éditrice vaticane.


Dimanche 25 décembre 2022

Le Sauveur du monde, couché dans une mangeoire

« Aujourd’hui nous est né le Sauveur du monde, qui est le Christ Seigneur, dans la ville de David » (Lc 2,11-12), qui est Bethléem. Nous devons donc y accourir comme les bergers l’ont fait lorsqu’ils ont entendu cette nouvelle (…) « Et ceci, dit l’ange, sera pour vous un signe : vous trouverez un enfant enveloppé de langes et déposé dans une mangeoire » (Lc 2,12-13). Or, voici ce que je vous dis : vous devez aimer. Vous craignez le Seigneur des anges, mais aimez le petit enfant ; vous craignez le Seigneur de majesté, mais aimez ce petit emmailloté ; vous craignez celui qui règne dans le ciel, mais aimez celui qui est couché dans une mangeoire. (…)

Mais qu’y a-t-il de remarquable à être emmailloté et couché dans une mangeoire ? Est-ce que les autres enfants ne sont pas emmaillotés aussi ? En quoi consiste donc ce signe ? (…) On pourrait dire bien des choses sur ce signe, mais (…) brièvement, Bethléem, qui veut dire « la maison du pain », c’est la sainte Église, où l’on distribue le corps du Christ, le vrai pain. La mangeoire de Bethléem, dans l’Église, c’est l’autel. C’est là que se nourrissent les familiers du Christ. Cet enveloppement de langes, c’est l’aspect extérieur des sacrements. Dans cette mangeoire, sous l’apparence du pain et du vin, il y a le vrai corps et le sang du Christ. Là, nous voyons qu’il y a le Christ en personne, mais enveloppé de langes, c’est-à-dire présent de façon invisible sous les sacrements. Nous n’avons pas de signe aussi grand et aussi évident de la naissance du Christ que le fait de consommer quotidiennement son corps et son sang au saint autel, et le fait que lui, qui est né pour nous d’une vierge une seule fois, nous le voyons chaque jour s’immoler pour nous.

Donc, mes frères, hâtons-nous vers la crèche du Seigneur. Autant que nous le pouvons, préparons-nous à cette approche par sa grâce, en tant qu’associés aux anges, « avec un cœur pur, une bonne conscience et une foi sincère » (2Co 6,6). Et nous chanterons au Seigneur par toute notre vie et notre comportement : « Gloire à Dieu dans les hauteurs, et sur la terre paix aux hommes, objet de sa bienveillance » (Lc 2,14).

Saint Aelred de Rievaulx (1110-1167), moine cistercien – 2e sermon pour Noël, 2 ; PL 195, 226 (in Les Pères commentent l’Évangile ; Collection liturgique Mysteria sous la direction de Henri Delhougne; trad. A.-M. Roguet; Éd. Brepols 1991, p. 322)

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SERMON DE SAINT LÉON LE GRAND POUR NOËL

Notre Sauveur, mes bien-aimés, est né aujourd’hui : réjouissons-nous ! Il n’est pas permis d’être triste, lorsqu’on célèbre l’anniversaire de la vie. Celui-ci détruit la crainte d’avoir à mourir, il nous donne la joie de l’éternité promise.
Personne n’est tenu à l’écart de cette allégresse, car le même motif de joie est commun à tous. Notre Seigneur, chargé de détruire le péché et la mort, n’ayant trouvé personne qui en fût affranchi, est venu en affranchir tous les hommes. Que le saint exulte, car il approche du triomphe. Que le pécheur se réjouisse, car il est invité au pardon. Que le païen prenne courage, car il est appelé à la vie.
En effet, le Fils de Dieu, à la plénitude des temps fixée dans la profondeur impénétrable du plan divin, a épousé la nature humaine pour la réconcilier avec son Créateur ; c’est ainsi que le démon, inventeur de la mort, allait être vaincu par cette nature même qu’il avait vaincue. ~
À la naissance du Seigneur, les anges bondissent de joie et chantent : Gloire à Dieu au plus haut des cieux ; ils annoncent : Paix sur la terre aux hommes que Dieu aime. Ils voient en effet la Jérusalem céleste qui se construit avec toutes les nations du monde. Combien la pauvre humanité doit-elle se réjouir devant cette œuvre inouïe de la bonté divine, puisque celle-ci inspire une telle joie à la nature sublime des anges eux-mêmes !
Mes bien-aimés, il nous faut donc rendre grâce à Dieu le Père, par son Fils, dans l’Esprit Saint ; avec la grande miséricorde dont il nous a aimés, il nous a pris en pitié, et alors que nous qui étions des morts par suite de nos fautes, il nous a donné la vie avec le Christ pour que nous soyons en lui une création nouvelle, une nouvelle œuvre de ses mains.
Rejetons donc l’homme ancien avec ses agissements, et puisque nous sommes admis à participer à la naissance du Christ, renonçons à notre conduite charnelle.
Chrétien, prends conscience de ta dignité. Puisque tu participes maintenant à la nature divine, ne dégénère pas en venant à la déchéance de ta vie passée. Rappelle-toi à quel chef tu appartiens, et de quel corps tu es membre. Souviens-toi que tu as été arraché au pouvoir des ténèbres pour être placé dans la lumière et le royaume de Dieu. Par le sacrement de baptême, tu es devenu temple du Saint-Esprit. Garde-toi de mettre en fuite un hôte si noble par tes actions mauvaises, et de retomber ainsi dans l’esclavage du démon, car tu as été racheté par le sang du Christ.


Dimanche 18 décembre 2022

 « On lui donnera le nom d’Emmanuel »

      « Emmanuel, qui se traduit ‘Dieu avec nous.’ » Oui, Dieu avec nous ! Jusqu’alors, il était Dieu au-dessus de nous, Dieu en face de nous, mais aujourd’hui il est « Emmanuel ». Aujourd’hui il est Dieu avec nous dans notre nature, avec nous dans sa grâce ; avec nous dans notre faiblesse, avec nous dans sa bonté ; avec nous dans notre misère, avec nous dans sa miséricorde ; avec nous par amour, avec nous par lien de famille, avec nous par tendresse, avec nous par compassion.       Dieu avec nous ! Vous n’avez pas pu, vous les fils d’Adam, monter au ciel pour être avec Dieu (cf Dt 30,12) ; Dieu descend du ciel pour être Emmanuel, Dieu avec nous. Il vient chez nous pour être Emmanuel, Dieu avec nous, et nous, nous négligeons de venir à Dieu pour être avec lui ! « Vous, humains, jusqu’à quand votre cœur sera-t-il appesanti ? Pourquoi aimer le néant et chercher le mensonge ? » (Ps 4,3) Voici venue la vérité : « pourquoi aimer le néant ? » Voici venue la parole vraie et inaltérable : « pourquoi chercher le mensonge ? » Voici Dieu avec nous.       Comment pourrait-il être davantage avec moi ? Petit comme moi, faible comme moi, nu comme moi, pauvre comme moi — en tout, il est devenu semblable à moi, prenant ce qui est mien et donnant ce qui est sien. Je gisais mort, sans voix, sans sens ; la lumière même de mes yeux n’était plus avec moi. Aujourd’hui est descendu cet homme si grand, « ce prophète puissant en œuvres et en paroles » (Lc 24,19). Il a « posé son visage sur mon visage, sa bouche sur ma bouche, ses mains sur mes mains » (2R 4,34), et il s’est fait Emmanuel, Dieu avec nous !    

Saint Aelred de Rievaulx (1110-1167), moine cistercien

Sermon pour l’Annonciation (trad. cf coll. Pain de Cîteaux, n°24, p. 216 et Solesmes, Lectionnaire, t. 1, p. 395)

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Le père de Dieu

Pourquoi Joseph voulut-il renvoyer Marie ? Il a voulu la renvoyer pour la même raison qui a poussé Pierre à repousser loin de lui le Seigneur lorsqu’il lui dit : « Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un pécheur » (Lc 5, 8) : Joseph la voyait avec tremblement porter la marque la plus certaine de la divine présence, et ne pouvant pénétrer ce mystère, il voulait la renvoyer.

Marie fut donc fiancée à un homme dont le nom était Joseph (Lc 1, 27). Selon Matthieu, il n’est pas simplement appelé un homme, mais l’époux de Marie, et à bon droit puisque, nécessairement, on le croyait tel. Il a donc dû être appelé l’époux de Marie parce qu’il fallait qu’on le crût tel, tout comme aussi il a été appelé le père du Sauveur. De ce titre, même simplement circonstanciel, dont Dieu l’honora en voulant qu’on l’appelât et qu’on le crût le père de Dieu, de son nom propre aussi – qu’il faut traduire sans hésitation par « accroissement » –, tu peux déduire « qui fut Joseph et quel homme c’était » (cf. Lc 7, 39).

St Bernard de Clairvaux

Moine de Cîteaux, saint Bernard († 1153) a fait rayonner, au xiie siècle, l’ordre cistercien dans toute l’Europe. / Homélies à la louange de la Vierge Mère II, 14-16, trad. M.-I. Huille et J. Regnard, Paris, Cerf, 2009, Sources Chrétiennes 390, p. 161-165.


Dimanche 11 décembre 2022

 La voix qui prépare la route à la Parole   

Jean était la voix, mais le Seigneur au commencement était la Parole. Jean, une voix pour un temps ; le Christ, la Parole au commencement, la Parole éternelle.  

Enlève la parole, qu’est-ce que la voix ? Là où il n’y a rien à comprendre, c’est une sonorité vide. La voix sans la parole frappe l’oreille, elle n’édifie pas le cœur. 

Cependant, découvrons comment les choses s’enchaînent dans notre propre cœur qu’il s’agit d’édifier. Si je pense à ce que je dis, la parole est déjà dans mon cœur ; mais lorsque je veux te parler, je cherche comment faire passer dans ton cœur ce qui est déjà dans le mien.

Si je cherche donc comment la parole qui est déjà dans mon cœur pourra te rejoindre et s’établir dans ton cœur, je me sers de la voix, et c’est avec cette voix que je te parle : le son de la voix conduit jusqu’à toi l’idée contenue dans la parole ; alors, il est vrai que le son s’évanouit ; mais la parole que le son a conduite jusqu’à toi est désormais dans ton cœur sans avoir quitté le mien.

Lorsque la parole est passée jusqu’à toi, n’est-ce donc pas le son qui semble dire lui-même : Lui, il faut qu’il grandisse ; et moi, que je diminue ? Le son de la voix a retenti pour accomplir son service, et il a disparu, comme en disant : Moi, j’ai la joie en plénitude. Retenons la parole, ne laissons pas partir la parole conçue au fond de nous.  

Tu veux voir comment la voix s’éloigne, tandis que demeure la divinité de la Parole ? Où est maintenant le baptême de Jean ? Il a accompli son service, et il a disparu. Maintenant le baptême du Christ se multiplie. Tous nous croyons au Christ, nous espérons le salut dans le Christ : c’est cela que la voix faisait entendre.   

Il est difficile de distinguer la parole de la voix, et c’est pourquoi on a pris Jean pour le Christ. On a pris la voix pour la parole ; mais la voix s’est fait connaître afin de ne pas faire obstacle à la parole. Je ne suis pas le Messie, ni Élie, ni le Prophète. On lui réplique : Qui es-tu donc ? Il répond : Je suis la voix qui crie à travers le désert : Préparez la route pour le Seigneur. La voix qui crie à travers le désert, c’est la voix qui rompt le silence. Préparez la route pour le Seigneur, cela revient à dire : Moi, je retentis pour faire entrer le Seigneur dans le cœur ; mais il ne daignera pas y venir, si vous ne préparez pas la route.           

Que signifie : Préparez la route, sinon : Priez comme il faut ? Que signifie : Préparez la route, sinon : Ayez d’humbles pensées ? Jean vous donne un exemple d’humilité. On le prend pour le Messie, il affirme qu’il n’est pas ce qu’on pense, et il ne profite pas de l’erreur d’autrui pour se faire valoir.  

S’il avait dit : Je suis le Messie, on l’aurait cru très facilement, puisqu’on le croyait avant même qu’il ne parle. Il l’a nié : il s’est fait connaître, il s’est défini, il s’est abaissé.         

Il a vu où se trouvait le salut. Il a compris qu’il n’était que la lampe, et il a craint qu’elle ne soit éteinte par le vent de l’orgueil.

St Augustin, Sermon pour la Nativité de Jésus

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Pourquoi Élie doit-il venir d’abord ?

Les disciples interrogèrent Jésus : « Pourquoi donc les scribes disent-ils que le prophète Élie doit venir d’abord ? » Quand on ne connaît pas les raisons de la question posée par les disciples au sujet d’Élie, elle semble sotte et déplacée. Quel rapport entre les faits racontés plus haut et cette question sur la venue d’Élie ? C’est qu’il y a une tradition des pharisiens qui s’appuie sur le prophète Malachie, le dernier des douze (cf. Ml 3, 23-24), selon laquelle Élie doit venir, avant la venue du Sauveur, ramener le cœur des pères aux enfants et celui des enfants aux pères et tout rétablir en son état primitif. Donc les disciples estiment que cette transformation glorieuse est celle dont ils avaient été témoins sur la montagne et ils disent : Si tu es déjà venu dans la gloire, comment se fait-il donc que ton précurseur n’apparaisse pas, d’autant plus qu’ils avaient vu Élie disparaître ? Lorsqu’ils ajoutent : « Les scribes disent que le prophète Élie doit venir d’abord », en disant d’abord, ils montrent que sans la venue d’Élie, l’avènement du Sauveur ne se fait point conformément aux Écritures.

Jésus leur répondit : « Élie va venir pour remettre toute chose à sa place. Mais, je vous le déclare : Élie est déjà venu. » Celui-là même qui doit venir en sa réalité corporelle au second avènement du Sauveur est venu maintenant en vertu et en esprit en la personne de Jean, mais « au lieu de le reconnaître, ils lui ont fait tout ce qu’ils ont voulu ».

St Jérôme, Docteur de l’Église, saint Jérôme († 420) fut un grand interprète de la Bible, qu’il traduisit en latin. Il est l’auteur de la Vulgate. / Sur Matthieu 17, 10-12, trad. É. Bonnard, Paris, Cerf, 1979, Sources Chrétiennes 259, p. 35-37.


Dimanche 4 décembre 2022

Commentaire d’Eusèbe de Césarée sur Isaïe 

L’avènement au désert. La Bonne Nouvelle sur la montagne.

Voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits les sentiers de notre Dieu. Cette parole montre clairement que les événements prophétisés ne se produiront pas à Jérusalem, mais au désert ; c’est là que la gloire du Seigneur apparaîtra et que toute chair aura connaissance du salut de Dieu. Et c’est ce qui s’est accompli réellement et littéralement lorsque Jean Baptiste proclama dans le désert du Jourdain que le salut de Dieu se manifesterait, car c’est là que le salut de Dieu est apparu. En effet, le Christ avec sa gloire s’est fait connaître à tous : lorsqu’il eut été baptisé, le Saint-Esprit descendit sur lui sous la forme d’une colombe et y demeura ; et la voix du Père lui rendit témoignage : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le.

Le prophète parlait ainsi parce que Dieu devait résider dans le désert, qui est inaccessible au monde. Toutes les nations païennes étaient désertées par la connaissance de Dieu, et toutes étaient inaccessibles aux justes et aux prophètes de Dieu.

C’est pour cela que cette voix ordonne de préparer le chemin au Verbe de Dieu et de rendre unie la route inaccessible et raboteuse afin que notre Dieu, en venant résider chez nous, puisse y avancer. ~

Monte sur une haute montagne, toi qui portes la bonne nouvelle à Sion. Élève la voix avec force, toi qui portes la bonne nouvelle à Jérusalem. Ces paroles s’accordent tout à fait avec le sens de celles qui ont précédé, et elles ont raison de mentionner les évangélistes, les porteurs de la Bonne Nouvelle, car elles annoncent aux hommes la Bonne Nouvelle de l’avènement de Dieu, après avoir parlé de la voix qui crie dans le désert. En effet la parole concernant les évangélistes du Sauveur vient à la suite de la prophétie concernant Jean Baptiste.

Qui donc est cette Sion, sinon très certainement celle que les anciens appelaient Jérusalem ? En effet, c’était bien une montagne, comme le montre cette affirmation de l’Écriture : La montagne de Sion où tu fis ta demeure ; et l’Apôtre : Vous êtes venus vers la montagne de Sion. N’est-ce pas une façon de parler qui désigne le groupe des Apôtres, choisis dans le peuple ancien, dans le peuple de la circoncision ?

Telle est en effet Sion ou Jérusalem, qui a reçu en héritage le salut de Dieu et qui, elle-même, est située sur la hauteur, sur la montagne même de Dieu, c’est-à-dire sur le Verbe, son Fils unique : il lui ordonne de monter sur la haute montagne pour annoncer la bonne nouvelle du salut. Or, quel est celui qui annonce la bonne nouvelle, sinon le groupe des évangélistes ? Et qu’est-ce qu’évangéliser ? C’est proclamer à tous les hommes et, avant tous, aux cités de Juda, l’avènement du Christ sur la terre.

Stance : Saisis de joie, vous demandez : Quel sera cet enfant ? C’est lui le messager de la première espérance. Accueillez-le de la part du Seigneur : Il vient tracer le chemin de l’Epoux et préluder au chant des Noces.

R/ Béni soit le Dieu fidèle ,il vient nous donner son amour.

Il se souvient de l’Alliance sainte, jadis annoncée par les prophètes.

Il nous suscite une force de salut dans la maison de David son serviteur.

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La voix du prophète du Très-Haut

À ces hommes hantés par les problèmes de la vie nationale et avides d’une révolution politique, Jean Baptiste tient un langage purement religieux. Prophète, il parle en prophète. Fixant sur les choses du temps le regard de l’Éternel, coïncidant avec la pensée divine, il dit ce que Dieu voit et pense. C’est pourquoi le mot qui domine sa prédication est « metanoia », c’est-à-dire retournement, changement de mentalité, renversement de perspective.

« Le Royaume des cieux est proche » ; pour passer à l’« ordre » de sainteté, inversez la table des valeurs. Spirituel d’abord. Ne confondez pas les plans. Dieu est Dieu et doit être traité en Dieu. Ne subordonnez pas l’Être transcendant à vos intérêts, quels qu’ils soient. Inutile de vous targuer orgueilleusement d’une filiation charnelle ; l’étiquette importe peu. Vous ne tromperez pas le Seigneur : « Je vous dis que Dieu peut de ces pierres susciter des enfants à Abraham. » Vous êtes tournés vers vous-mêmes, retournez vers Lui qui est éternellement tourné vers vous. Il ne s’agit que de vérité, de fécondité, de charité, et de toute simple honnêteté.

François Varillon, s.j. († 1978), jésuite, théologien, fut un infatigable prédicateur de retraites et reste l’une des plus grandes figures jésuites du xxe siècle. / Éléments de doctrine chrétienne, Paris, DDB, 1960, p. 138-139.


Dimanche 27 novembre 2022

CATÉCHÈSE PRÉBAPTISMALE DE SAINT CYRILLE DE JÉRUSALEM

Les deux avènements du Christ

Nous annonçons l’avènement du Christ : non pas un avènement seulement, mais aussi un second, qui est beaucoup plus beau que le premier. Celui-ci, en effet, comportait une signification de souffrance, et celui-là porte le diadème de la royauté divine.

Le plus souvent, en effet, tout ce qui concerne notre Seigneur Jésus Christ est double. Double naissance : l’une, de Dieu avant les siècles, l’autre, de la Vierge à la plénitude des siècles. Double descente : l’une, imperceptible comme celle de la pluie sur la toison, la seconde, éclatante, celle qui est à venir.

Dans le premier avènement, il est enveloppé de langes dans la crèche ; dans le second, il est revêtu de lumière comme d’un manteau. Dans le premier, il a subi la croix, ayant méprisé la honte ; dans le second, il viendra escorté par l’armée des anges, en triomphateur.

Nous ne nous arrêtons pas au premier avènement : nous attendons aussi le second. Comme nous avons dit, lors du premier : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, nous le répéterons encore pour le second ; en accourant avec les anges à la rencontre du Seigneur, nous lui dirons en l’adorant : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur.

Le Sauveur ne viendra pas pour être jugé de nouveau, mais pour juger ceux qui l’ont traduit en jugement. Lui qui a gardé le silence lors du premier jugement, il rappellera leur crime aux misérables qui ont osé le mettre en croix, en disant : Voilà ce que tu as fait, et j’ai gardé le silence. Alors il est venu selon le dessein de miséricorde et il enseignait les hommes par persuasion. Mais, lors du second avènement, ils seront contraints de reconnaître sa royauté.

Le prophète Malachie a parlé des deux avènements. Soudain viendra dans son Temple le Seigneur que vous cherchez. Voilà pour le premier.

Et aussitôt il ajoute pour le second : ~ Le messager de l’Alliance que vous désirez, voici qu’il vient, le Seigneur tout-puissant. Qui pourra soutenir sa vue ? Car il est pareil au feu du fondeur, pareil à la lessive des blanchisseurs. Il s’installera pour fondre et purifier. ~

Saint Paul veut parler aussi de ces deux avènements lorsqu’il écrit à Tite : La grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes. C’est elle qui nous apprend à rejeter le péché et les passions d’ici-bas, pour vivre dans le monde présent en hommes raisonnables, justes et religieux, et pour attendre le bonheur que nous espérons avoir quand se manifestera la gloire de Jésus Christ, notre grand Dieu et notre Sauveur. Tu vois comment il a parlé du premier avènement, dont il rend grâce ; et du second, que nous attendons. ~

Donc, notre Seigneur Jésus Christ viendra du ciel. Il viendra vers la fin de ce monde, avec gloire, au dernier jour. Car la fin du monde arrivera et ce monde créé sera renouvelé.

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Le sens de l’Avent

Voici, mes bien-aimés, ce temps célébré avec tant de ferveur, et, comme dit l’Esprit Saint, temps de la faveur divine, période de salut, de paix et de réconciliation ; temps jadis désiré très ardemment par les vœux et les aspirations instantes des anciens prophètes et patriarches, et qui a été vu enfin par le juste Siméon avec une joie débordante ! Puisqu’il a toujours été célébré par l’Église avec tant de ferveur, nous-mêmes devons aussi le passer religieusement dans les louanges et les actions de grâce adressées au Père éternel pour la miséricorde qu’il a manifestée dans ce mystère.

Du fait que ce mystère est revécu chaque année par l’Église, nous sommes exhortés à rappeler sans cesse le souvenir de tant d’amour envers nous. Cela nous enseigne aussi que l’avènement du Christ n’a pas profité seulement à ceux qui vivaient à l’époque du Sauveur, mais que sa vertu devait être communiquée aussi à nous tous ; du moins si nous voulons, par le moyen de la foi et des sacrements, accueillir la grâce qu’il nous a méritée et diriger notre vie selon cette grâce en lui obéissant.

L’Église nous demande encore de comprendre ceci : de même qu’il est venu au monde une seule fois en s’incarnant, de même, si nous enlevons tout obstacle de notre part, il est prêt à venir à nous de nouveau, à toute heure et à tout instant, pour habiter spirituellement dans nos cœurs avec l’abondance de ses grâces.

St Charles Borromée († 1584), archevêque de Milan, canonisé en 1610


Dimanche 20 novembre 2022

Aujourd’hui

En la fête du Christ-Roi, la prière du bon larron traduit le paradoxe chrétien : la foi en la personne et en la mission du Christ est exprimée par un malfaiteur crucifié ; celui-ci se tourne avec confiance vers Jésus lui-même condamné, qui expire dans une apparente impuissance.

Les chefs religieux et les soldats se moquent. Un autre condamné blasphème. Le titre de « Roi des Juifs » est donné au Nazaréen par dérision. De même qu’au désert il y avait eu trois tentations, sur le Golgotha le défi est lancé trois fois : Sauve-toi toi-même ! Si tu es le Messie, si tu es le roi des Juifs.

Seul le bon larron porte sur Jésus le regard de la foi et l’invoque avec l’audace de l’espérance. Il a reconnu le Messie. Il espère le Règne de vie que viendra inaugurer le Fils. Il donne sa foi à celui en qui Dieu a voulu tout réconcilier, en faisant la paix par le sang de sa croix.

Voilà un modèle pour toute confession de foi chrétienne. Voilà le sens de cette solennité : dans le mystère salvifique de la mort et de la résurrection du Fils de Dieu fait homme est fondé le Règne nouveau. Et Jésus répond au bon larron : « Aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. » L’attente est comblée. L’alliance et la communion sont offertes, aujourd’hui, avec le Christ.

Jean-Paul II, pape de 1978 à 2005, a été canonisé en 2014. / Homélie du 25 novembre 1989, Librairie éditrice vaticane

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« Que ton règne vienne »

Comme l’a dit notre Seigneur et Sauveur, le règne de Dieu vient sans qu’on puisse le remarquer. On ne dira pas : Le voilà, il est ici, ou bien : Il est là. Car voilà que le règne de Dieu est au-dedans de vous. Et en effet, elle est tout près de nous, cette Parole, elle est dans notre bouche et dans notre cœur. En ce cas, il est évident que celui qui prie pour que vienne le règne de Dieu a raison de prier pour que ce règne de Dieu germe, porte du fruit et s’accomplisse en lui. Chez tous les saints en lesquels Dieu règne et qui obéissent à ses lois spirituelles, il habite comme dans une cité bien organisée. Le Père est présent en lui et le Christ règne avec le Père dans cette âme parfaite, selon sa parole : Nous viendrons chez lui, nous irons demeurer auprès de lui. ~

Le règne de Dieu qui est en nous, alors que nous progressons toujours, parviendra à sa perfection lorsque la parole de l’Apôtre s’accomplira : le Christ, après avoir soumis ses ennemis, remettra son pouvoir royal à Dieu le Père afin que Dieu soit tout en tous. C’est pourquoi, priant sans cesse et avec des dispositions divinisées par le Verbe, nous disons : Notre Père qui es aux cieux, que ton nom soit sanctifié, que ton Règne vienne. 

À propos du règne de Dieu, il faut encore remarquer ceci : comme il n’y a pas d’union entre la justice et l’impiété, entre la lumière et les ténèbres, entre le Christ et Bélial, le règne du péché est inconciliable avec le règne de Dieu. Si donc nous voulons que Dieu règne sur nous, que jamais le péché ne règne dans notre corps mortel. Mais faisons mourir nos membres qui appartiennent à la terre, et portons les fruits de l’Esprit. Ainsi, comme dans un paradis spirituel, le Seigneur se promènera en nous, régnant seul sur nous, avec son Christ. Celui-ci trônera en nous, à la droite de la puissance spirituelle, que nous désirons recevoir, jusqu’à ce que tous ses ennemis qui sont en nous deviennent l’escabeau de ses pieds, et que soit chassée loin de nous toute principauté, puissance et souveraineté.

Tout cela peut arriver en chacun de nous jusqu’à ce que soit détruit le dernier ennemi, la mort, et que le Christ dise en nous : Mort, où est ton dard venimeux ? Enfer, où est ta victoire ? Dès maintenant donc, que ce qui est périssable en nous devienne saint et impérissable ; que ce qui est mortel après la destruction, revête l’immortalité du Père. Ainsi Dieu régnera sur nous et nous serons déjà dans le bonheur de la nouvelle naissance et de la résurrection.

Traité d’Origéne sur la prière


Dimanche 13 novembre 2022

SERMON DE SAINT AUGUSTIN SUR LE PSAUME 95

« Une terre nouvelle, où habitera la justice »

Tous les arbres des forêts bondiront de joie devant la face du Seigneur, car il vient, car il vient pour juger la terre. Il est venu une première fois, et il viendra. ~ La première fois, sa parole a résonné dans l’Évangile : Désormais, vous verrez le Fils de l’homme venir sur les nuées. Pourquoi désormais ? Est-ce que le Fils de l’homme ne viendra pas plus tard, lorsque se lamenteront toutes les tribus de la terre ? Il est d’abord venu en la personne de ses prédicateurs et c’est ainsi qu’il a rempli toute la terre. Ne résistons pas au premier avènement si nous ne voulons pas redouter le second. ~

Que doit donc faire le chrétien ? User du monde, ne pas servir le monde. En quoi cela consiste-t-il ? À posséder, comme si l’on ne possédait pas. C’est ce que dit saint Paul : D’ailleurs, frères, le temps est limité. Dès lors, que ceux qui ont une femme soient comme s’ils n’avaient pas de femme ; ceux qui pleurent, comme s’ils ne pleuraient pas, ceux qui se réjouissent, comme s’ils ne se réjouissaient pas, ceux qui font des achats, comme s’ils ne possédaient rien, ceux qui usent de ce monde, comme s’ils n’en usaient pas, car elle passe, la figure de ce monde. Je veux que vous soyez libres de tout souci. Celui qui est libre de tout souci attend avec sécurité la venue de son Seigneur. Car est-ce qu’on aime le Seigneur, lorsqu’on redoute sa venue ? Mes frères, est-ce que nous n’avons pas honte ? Nous aimons, et nous redoutons sa venue ! Aimons-nous vraiment, ou est-ce que nous n’aimons pas davantage nos péchés ? Nous haïrons nos péchés eux-mêmes, et nous aimerons celui qui va venir pour punir les péchés. Il viendra, que nous le voulions ou non. Ce n’est pas parce qu’il ne vient pas maintenant qu’il ne viendra pas. Il viendra, et tu ne sais pas quand. Et s’il te trouve prêt, cela n’a pas d’inconvénient pour toi que tu ne le saches pas. ~

Et tous les arbres des forêts bondiront de joie. Il est venu une première fois, et il viendra pour juger la terre. Il trouvera bondissant de joie ceux qui ont cru à son premier avènement, car il vient. ~

Il jugera le monde avec justice, et les peuples selon sa vérité. Quelle justice et quelle vérité ? Il rassemblera auprès de lui ses élus pour le jugement, et les autres, il les séparera, car il mettra ceux-ci à sa droite, et ceux-là à sa gauche.

Qu’y aura-t-il de plus juste, de plus vrai que cela : ils n’attendront pas du juge la miséricorde, ceux qui n’ont pas voulu exercer la miséricorde avant la venue du juge. Ceux qui ont voulu exercer la miséricorde seront jugés avec miséricorde. Car il dira à ceux qu’il aura mis à sa droite : Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le royaume préparé pour vous depuis la création du monde. Et il leur attribue des actes de miséricorde : J’avais faim, et vous m’avez donné à manger, j’avais soif et vous m’avez donné à boire, et toute la suite.

Ceux qu’il a placés à sa gauche, qu’est-ce qu’il leur reproche ? De n’avoir pas voulu exercer la miséricorde. Et où iront-ils ? Allez au feu éternel. Cette sentence funeste suscitera un grand gémissement. Mais que dit un autre psaume ? Jamais on n’oubliera le juste. Il ne craint pas une sentence funeste. Quelle est cette sentence funeste ? Allez au feu éternel, préparé pour le démon et ses anges. Celui qui se réjouira d’une sentence favorable ne craindra pas une sentence funeste. ~ Voilà la justice, voilà la vérité.

Parce que tu es injuste, le juge ne sera pas juste ? Parce que tu es menteur, la vérité ne sera pas véridique ? Mais si tu veux rencontrer un juge miséricordieux, sois miséricordieux avant qu’il vienne. Pardonne, si l’on t’a offensé. Donne les biens que tu possèdes en abondance. Et avec quoi donneras-tu, sinon avec ce que tu tiens de lui ? Si tu donnais de ton bien, ce serait de la générosité. Puisque tu donnes ce que tu tiens de lui, c’est de la restitution. Que possèdes-tu que tu n’aies reçu ? Voilà les sacrifices qui sont très agréables à Dieu : miséricorde, humilité, reconnaissance, paix, charité. Si c’est cela que nous apportons, nous attendrons avec assurance l’avènement du juge, lui qui jugera le monde avec justice, et les peuples selon sa vérité.


Dimanche 30 octobre / dimanche 6 novembre 2022

« Zachée, descends vite »

Jésus nous a attirées ensemble, quoique par des voies différentes ; ensemble il nous a élevées au-dessus de toutes les choses fragiles de ce monde dont la figure passe ; il a mis pour ainsi dire toutes choses sous nos pieds. Comme Zachée nous sommes montées sur un arbre pour voir Jésus. Alors nous pouvions dire avec saint Jean de la Croix : « Tout est à moi, tout est pour moi, la terre est à moi, les cieux à moi, Dieu est à moi et la Mère de mon Dieu est à moi ». (…) Céline, quel mystère que notre grandeur en Jésus ! Voilà tout ce que Jésus nous a montré en nous faisant monter sur l’arbre symbolique dont je parlais tout à l’heure. Et maintenant quelle science va-t-il nous enseigner ? Ne nous a-t-il pas tout appris ? Écoutons ce qu’il nous dit : « Hâtez-vous de descendre, il faut que je loge aujourd’hui chez vous ». Eh quoi ! Jésus nous dit de descendre. Où donc faut-il descendre ? Céline, tu le sais mieux que moi, cependant laisse-moi te dire où nous devons maintenant suivre Jésus. Autrefois les juifs demandaient à notre divin Sauveur : « Maître, où logez-vous ? » et il leur répondit : « Les renards ont leur tanière, les oiseaux du ciel leurs nids et moi je n’ai pas où reposer la tête » (Jn 1,38; Mt 8,20). Voilà où nous devons descendre afin de pouvoir servir de demeure à Jésus. Être si pauvre que nous n’ayons pas où reposer la tête.

Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus (1873-1897)

Carmélite, docteur de l’Église. Lettre 137, à sa sœur, Céline (in OC, Cerf DDB 1992, p. 452)

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« Je crois à la communion des saints »

Frères bien-aimés, veillons avec soin à tout ce qui touche à notre vie commune, « conservant l’unité de l’esprit dans le lien de la paix » par « la grâce de notre Seigneur Jésus Christ et l’amour de Dieu et la communion du Saint Esprit » (Ep 4,3; 2Co 13,13). De l’amour de Dieu procède l’unité de l’esprit ; de la grâce de notre Seigneur Jésus Christ, le lien de la paix ; de la communion du Saint Esprit, cette communion qui est nécessaire à ceux qui vivent en commun. (…) « Je crois, Seigneur, en l’Esprit Saint, en la sainte Église catholique, en la communion des saints » (Credo). Là est mon espérance, là est ma confiance, là est toute ma sécurité dans la confession de ma foi. (…) S’il m’est donné, Seigneur, de « t’aimer et d’aimer mon prochain » (Mt 22,37-39), bien que mes mérites soient de peu, mon espérance s’élève bien au-dessus. J’ai confiance que par la communion de la charité, les mérites des saints me seront utiles et qu’ainsi la communion des saints suppléera à mon insuffisance et à mon imperfection… La charité dilate notre espérance jusqu’à la communion des saints, dans la communion des récompenses. Mais celle-ci concerne les temps futurs : c’est la communion de la gloire qui sera révélée en nous. Il y a donc trois communions : la communion de la nature, à laquelle s’est ajoutée la communion de la faute (…) ; la communion de la grâce ; et enfin celle de la gloire. Par la communion de la grâce, la communion de la nature commence d’être rétablie et celle de la faute est exclue ; mais par la communion de la gloire, celle de la nature sera réparée en perfection et la colère de Dieu sera tout à fait exclue, lorsque « Dieu essuiera toute larme des yeux » des saints (Is 25,8; Ap 21,4). Alors tous les saints auront comme « un seul cœur et une seule âme » ; et « toutes choses leur seront communes », car Dieu sera « tout en tous » (Ac 4,32; 1Co 15,28). Pour que nous parvenions à cette communion et que nous nous rassemblions dans l’un, « que la grâce de notre Seigneur Jésus Christ, et l’amour de Dieu, et la communion du Saint-Esprit soit toujours avec nous tous. Amen ».

Baudouin de Ford (?-v. 1190)

Abbé cistercien, puis évêque. Traité de la vie cénobitique ; PL 204, 544s (trad. Lubac, Catholicisme, p. 308 rev.)


Dimanche 23 octobre 2022

« Prends pitié du pécheur que je suis »

      Un pharisien et un publicain montaient au Temple pour y prier. Le pharisien a commencé par énumérer toutes ses qualités, en proclamant : « O Dieu, je te rends grâce de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont rapaces, injustes et adultères, ou bien encore comme ce publicain ! » Misérable sois-tu, toi qui oses porter un jugement sur la terre tout entière ! Pourquoi accabler ton prochain ? As-tu encore besoin de condamner ce publicain, la terre ne t’a-t-elle pas suffi ? Tu as accusé tous les hommes, sans exception : « Je ne suis pas comme le reste des hommes…ou bien encore comme ce publicain ; je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tout ce que je possède. » Que de suffisance dans ces paroles ! Malheureux !…       Le publicain, quant à lui, avait fort bien entendu ces paroles. Il aurait pu rétorquer en ces termes : « Qui donc es-tu, qui oses proférer de telles médisances à mon sujet ? D’où connais-tu ma vie ? Tu n’as jamais vécu dans mon entourage, tu n’es pas un de mes intimes. Pourquoi manifester un tel orgueil ? D’ailleurs, qui peut attester la réalité de tes bonnes actions ? Pourquoi fais-tu ainsi ton propre éloge, qu’est-ce qui t’incite à te glorifier de la sorte ? » Mais il n’en fit rien –- bien au contraire -– il s’est prosterné, en disant : « O Dieu, prends en pitié le pécheur que je suis ! » Et, pour avoir fait preuve d’humilité, il a été justifié.       Le pharisien a quitté le Temple, privé de toute absolution, tandis que le publicain s’en allait, le cœur renouvelé d’une justice retrouvée… Pourtant, il n’y avait là guère d’humilité, dans la mesure où l’on utilise ce terme lorsque quelqu’un de noble s’abaisse ; or, dans le cas du publicain, il ne s’agissait pas d’humilité, mais de simple vérité, car il disait vrai.

Saint Jean Chrysostome (v. 345-407)

Prêtre à Antioche puis évêque de Constantinople, docteur de l’Église. Homélies sur la conversion, n°2 (trad. coll. Pères dans la foi, 8, DDB 1978, p. 46)

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Mon Dieu, montre-toi favorable !

Un frère dit à abba Antoine : « Prie pour moi. » Et le vieillard lui dit : « Je ne te prendrai pas en pitié, ni Dieu non plus, si toi-même ne te prends pas en pitié et ne cherches à lui plaire. »

L’un des pères racontait qu’il y avait aux Cellules un vieillard laborieux qui ne portait qu’une natte. Il s’en alla trouver abba Ammônas ; et celui-ci, voyant qu’il portait une natte, lui dit : « Cela ne te sert à rien. » Et l’autre l’interrogea en disant : « Trois pensées me préoccupent : ou bien errer dans le désert, ou bien partir à l’étranger où personne ne me connaît, ou bien m’enfermer dans une cellule et ne rencontrer personne, mangeant un jour sur deux. » Abba Ammônas lui dit : « Aucun de ces trois projets non plus ne t’est utile à réaliser ; mais demeure plutôt dans ta cellule, mangeant un petit peu chaque jour et conservant sans cesse en ton cœur la parole du publicain, et tu peux être sauvé. »

Apophtegmes des Pères

Les Apophtegmes, ou Sentences, sont de brèves paroles des Pères du désert, moines de la Thébaïde égyptienne au ve siècle. / Les Apophtegmes des Pères (collection systématique),t. II, X, 4 et 20, trad. J.-C. Guy, Paris, Cerf, coll. « Sources Chrétiennes » 474, 2003, p. 17 et 27.


Dimanche 16 octobre 2022

« Toujours prier sans se décourager »

Aime prier. Ressens souvent le besoin de prier tout au long de la journée. La prière dilate le cœur jusqu’à ce que celui-ci puisse recevoir le don de Dieu qui est lui-même. Demande, cherche, et ton cœur grandira au point de le recevoir, de le garder comme ton bien. Nous désirons tellement bien prier, et puis nous échouons. Alors nous nous décourageons et renonçons. Si tu veux prier mieux, tu dois prier plus. Dieu accepte l’échec, mais il ne veut pas du découragement. Toujours plus, il nous veut tels des enfants, toujours plus humbles, toujours plus remplis de gratitude dans l’oraison. Il veut que nous nous souvenions de notre appartenance à tous au corps mystique du Christ, qui est prière perpétuelle. Nous devons nous aider l’un l’autre dans nos prières. Libérons nos esprits. Ne prions pas longuement, que nos prières ne s’étirent pas sans fin, mais qu’elles soient brèves, pleines d’amour. Prions pour ceux qui ne prient pas. Souvenons-nous que celui qui veut pouvoir aimer, doit pouvoir prier.

Sainte Teresa de Calcutta (1910-1997)

Fondatrice des Sœurs Missionnaires de la CharitéNo greater love (Il n’y a pas de plus grand amour, trad. JF Colosimo ; Lattès 1997, p. 20)

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Prier sans se décourager

Les biens qui se retirent de la sécheresse et du manque de dévotion dans la prière sont innombrables, pour peu que l’âme comprenne ce que Dieu veut à travers cela, ce qui dépend d’elle n’étant que de le supporter et de persévérer dans la prière.

En effet, comme dit saint Grégoire, Dieu aime beaucoup la prière faite avec foi et confiance, même si l’âme s’y trouve sèche et complètement privée de goût, tout en y persévérant avec une véritable félicité. Même si elle se trouve amère et distraite, et qu’à son jugement elle ne peut penser à rien de valable, cette prière n’est pas perdue, car la tribulation même, supportée avec patience devant Dieu, prie et intercède devant Lui ; et selon le même saint Grégoire, cette amertume de la tribulation resplendit devant le Seigneur, et porte à Dieu plus que les autres, et, pour parler ainsi, le force à nous favoriser. D’où il s’ensuit qu’aucune œuvre bonne ne doit être délaissée sous prétexte que l’âme se trouve stupide et inquiète, car en la laissant, nous faisons ce que voulait le démon et nous nous privons d’un fruit merveilleux.

Jean de Bonilla, o.f.m.

On ne sait presque rien de ce franciscain espagnol (probablement du XVIe siècle), sinon que son petit Traité de la paix de l’âme fut répandu au XIXe siècle dans toute l’Europe sous le nom de Scupoli. / Breve Tratado, Madrid, Rialp, 2005, p. 55s.


Dimanche 9 octobre 2022

La foi qui purifie

Que représentent les dix lépreux sinon l’ensemble des pécheurs ?… Lorsque le Christ notre Seigneur est venu, tous les hommes souffraient de la lèpre de l’âme, même s’ils n’étaient pas tous atteints de celle du corps… Or la lèpre de l’âme est bien pire que celle du corps. Mais voyons la suite. « Ils s’arrêtèrent à distance et lui crièrent : ‘Jésus, Maître, prends pitié de nous’ ». Ces hommes se tenaient à distance car ils n’osaient pas, étant donné leur état, s’avancer plus près de lui. Il en va de même pour nous : tant que nous demeurons dans nos péchés, nous nous tenons à l’écart. Donc, pour retrouver la santé et guérir de la lèpre de nos péchés, supplions d’une voix forte et disons : « Jésus, Maître, prends pitié de nous ». Cette supplication ne doit toutefois pas venir de notre bouche, mais de notre cœur, car le cœur parle d’une voix plus forte. La prière du cœur pénètre dans les cieux et s’élève très haut, jusqu’au trône de Dieu.

Saint Bruno de Segni (v. 1045-1123)

Evêque – Commentaire sur l’évangile de Luc, 2, 40 ; PL 165, 426-428 (trad. Delhougne, Les Pères commentent, p. 449)

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Celui qui donne tout

Tout ce que tu fais au plus petit, c’est à moi que tu le fais, et tout ce que tu ne fais pas au plus petit, c’est à moi que tu ne le fais pas ! Si je vois un enfant qui meurt sur le trottoir, c’est Jésus Christ qui meurt sur le trottoir. Ce sont des phrases de l’Évangile qu’on ne dit pas assez. Je suis parti avec cette idée très, très forte comme missionnaire : je cherche le visage du Seigneur. Je le cherche sur mes pauvres gens, le visage du Seigneur, ça peut être un visage triomphal, très, très beau, et aussi un visage de souffrance, le visage des lépreux, des pauvres.

S’il y a quelque chose de très impressionnant en Inde, ce sont les léproseries. J’ai toujours été très proche des lépreux. Dans le livre d’or d’une grande léproserie du sud de l’Inde, cette phrase en sanskrit était écrite, très émouvante dans un tel contexte : « Tout ce qui n’est pas donné est perdu. » C’est-à-dire que toutes les richesses matérielles mais aussi tout l’amour que vous ne donnez pas sont perdus. Toute la beauté que vous ne donnez pas, c’est de la beauté perdue. L’intelligence qu’on ne donne pas, c’est de l’intelligence perdue. Cette phrase extraordinaire m’avait beaucoup frappé et me frappe encore.

Pierre Ceyrac, s.j.

Le père jésuite Pierre Ceyrac († 2012), né en Corrèze, a été missionnaire en Inde pendant presque toute sa vie, excepté une longue parenthèse avec les réfugiés du Cambodge (1980-1992). Son action a tiré des milliers d’hommes et de femmes de la misère. / Carnets spirituels, Paris, Bayard, 2015, p. 150. 172-173.


Dimanche 2 octobre 2022

Nous sommes de simples serviteurs

Il n’est rien qui produise d’ordinaire la présomption, si nous n’y prenons garde, comme une bonne conscience. Voilà pourquoi le Christ, sachant que les bonnes actions ouvrent la voie à ce sentiment, disait à ses disciples : « Quand vous aurez tout fait, dites : “Nous sommes de simples serviteurs.” » En d’autres termes : « Quand le fauve va pénétrer chez vous, alors, par ces paroles, fermez-lui votre porte. » Il n’a pas dit : « Quand vous aurez tout fait, vous êtes inutiles » ; mais bien : « Dites vous-mêmes : “Nous sommes inutiles.” » Dis-le, sans crainte, je ne porte pas mon verdict d’après ton jugement. Si tu te déclares toi, inutile, alors moi je te couronne, comme utile. Il est dit ailleurs dans le même sens : Avoue toi-même, le premier, tes désobéissances à la Loi, pour être justifié (Is 43, 26). Devant les tribunaux païens, en effet, après l’accusation du coupable, vient la mort, mais devant le tribunal divin, après l’accusation des fautes, vient la couronne. Voilà pourquoi Salomon disait : Ne te justifie pas toi-même devant le Seigneur (Si 7, 5).

St Jean Chrysostome

Saint Jean Chrysostome ou « Bouche d’or », fut évêque de Constantinople avant de mourir en exil en 407, persécuté. / Jean Chrysostome (Ve s.), Homélies sur Ozias 3, 1, trad. J. Dumortier, Paris, Cerf, coll. « Sources Chrétiennes » 277, 1981, p. 109.

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« Nous sommes des serviteurs quelconques : nous n’avons fait que notre devoir »

Sois toujours fidèle dans les petites choses, car en elles réside notre force. Pour Dieu, rien n’est petit. Il n’entend rien diminuer. Pour lui, toutes les choses sont infinies. Pratique la fidélité dans les choses les plus minimes, non pas pour leur vertu propre, mais en raison de cette grande chose qu’est la volonté de Dieu — et que, moi-même, je respecte infiniment. Ne recherche pas des actions spectaculaires. Nous devons délibérément renoncer à tout désir de contempler le fruit de notre labeur, accomplir seulement ce que nous pouvons, du mieux que nous le pouvons, et laisser le reste entre les mains de Dieu. Ce qui importe, c’est le don de toi-même, le degré d’amour que tu mets dans chacune de tes actions. Ne t’autorise pas le découragement face à un échec, dès lors que tu as fait de ton mieux. Refuse aussi la gloire lorsque tu réussis. Rends tout à Dieu avec la plus profonde gratitude. Si tu te sens abattu, c’est un signe d’orgueil qui montre combien tu crois en ta propre puissance. Ne te préoccupe pas plus de ce que pensent les gens. Sois humble et rien ne te dérangera jamais. Le Seigneur m’a lié là où je suis ; c’est lui qui m’en déliera.

Sainte Teresa de Calcutta (1910-1997)

Fondatrice des Sœurs Missionnaires de la Charité – No Greater Love (Il n’y a pas de plus grand amour; trad. de l’anglais par J.-Fr. Colosimo; J.-C. Lattès, 1997, p. 42)


Dimanche 25 septembre 2022

« Un pauvre… était couché devant le portail »

Dieu a destiné la terre et tout ce qu’elle contient à l’usage de tous les hommes et de tous les peuples, en sorte que les biens de la création doivent être mis en abondance à la disposition de tous, selon la règle de la justice, qui est inséparable de la charité. Quelles que soient les formes de la propriété, adaptées aux légitimes institutions des peuples, selon des circonstances diverses et changeantes, on doit toujours tenir compte de cette destination universelle des biens. C’est pourquoi, en utilisant ces biens, l’homme ne doit pas considérer les choses qu’il possède légitimement comme n’appartenant qu’à lui, mais il doit aussi les considérer comme communes, en ce sens qu’elles peuvent profiter non seulement à lui, mais aussi aux autres.   D’ailleurs, tous les hommes ont le droit d’avoir une part suffisante de biens pour eux-mêmes et leur famille. C’est ce qu’ont pensé les Pères et les Docteurs de l’Église qui enseignaient que l’on est obligé d’aider les pauvres, et pas seulement au moyen de son superflu. Quant à celui qui se trouve dans l’extrême nécessité, il a le droit de se procurer le nécessaire à partir des richesses d’autrui.

Vu le nombre si grand de ceux qui souffrent de faim dans le monde, le Concile insiste auprès de tous, qu’il s’agisse des individus ou des autorités, pour qu’ils se souviennent de ce mot des Pères : « Donne à manger à celui qui meurt de faim car, si tu ne lui as pas donné à manger, tu l’as tué. » Et le Concile insiste auprès de tous pour que, selon les possibilités de chacun, ils partagent réellement leurs biens et les emploient pour fournir, soit à des individus et à des peuples, les moyens qui leur permettront de s’aider eux-mêmes et de se développer.

Concile Vatican II

Constitution sur l’Église dans le monde de ce temps « Gaudium et Spes », § 69,1 (trad. © copyright Libreria Editrice Vaticana)

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Quel est cet abîme ?

L’Évangile souligne avant tout le fossé infranchissable entre la vie de bombance du riche et la misère du pauvre qui est couché devant le portail, et voit donc ce qui se passe à l’intérieur, sans que personne ne se soucie de ses plaies, sinon les chiens sales et vagabonds. Le fossé devient dans l’au-delà l’abîme définitif, infranchissable, entre le repos dans le sein d’Abraham et la torture dans les enfers brûlants. L’abîme est insurmontable pour Abraham lui-même, et la demande de l’envoi du pauvre – ce malheureux méprisé justement ! – aux cinq frères n’a aucun sens, car avec bien plus d’insistance que le pauvre ne le pourrait Moïse et les prophètes leur parlent. La simple parabole de Jésus n’est rien qu’une concrétisation de la parole que nous ne comprenons peut-être que difficilement : « Heureux, vous les pauvres […] malheur à vous, les riches » (Lc 6, 20.24).

Cardinal Hans Urs von Balthasar

Hans Urs von Balthasar († 1988), jésuite et fondateur d’un institut séculier, a laissé une œuvre théologique monumentale. Il est l’un des plus importants écrivains et théologiens catholiques du xxe siècle. / Lumière de la Parole – Année C, Lessius, Bruxelles, 1997, p. 129-130.


Dimanche 18 septembre 2022

« Celui qui est digne de confiance dans une petite affaire est digne de confiance aussi dans une grande »

      Tu dois savoir d’où vient pour toi l’existence, le souffle, l’intelligence et ce qu’il y a de plus précieux, la connaissance de Dieu, d’où vient l’espérance du Royaume de cieux et celle de contempler la gloire que tu vois aujourd’hui de manière obscure, comme dans un miroir, mais que tu verras demain dans toute sa pureté et son éclat (1Co 13,12). D’où vient que tu sois fils de Dieu, héritier avec le Christ (Rm 8,16-17) et, j’oserai dire, que tu sois toi-même un dieu ? D’où vient tout cela et par qui ?       Ou encore, pour parler de choses moins importantes, celles qui se voient : qui t’a donné de voir la beauté du ciel, la course du soleil, le cycle de la lune, les étoiles innombrables et, en tout cela, l’harmonie et l’ordre qui les conduisent ?… Qui t’a donné la pluie, l’agriculture, les aliments, les arts, les lois, la cité, une vie civilisée, des relations familières avec tes semblables ?       N’est-ce pas de Celui qui, avant toute chose et en retour de tous ses dons, te demande d’aimer les hommes ?… Alors que lui, notre Dieu et notre Seigneur, n’a pas honte d’être appelé notre Père, allons-nous renier nos frères ? Non, mes frères et mes amis, ne soyons pas des gérants malhonnêtes des biens qui nous sont confiés.

Saint Grégoire de Nazianze (330-390), évêque et docteur de l’Église

Homélie 14, sur l’amour des pauvres, § 23-25 ; PG 35,887 (trad. Solesmes, Lectionnaire, t. 2, p. 161 rev.; cf bréviaire 1er lundi de carême)

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Maudit argent

Serait-ce là un éloge du vol ? La « prise illégale d’intérêt » serait donc une vertu ?

Il n’y a pourtant pas d’ambiguïté. Lorsque tu fais un fouet pour chasser ceux qui marchandent dans la maison de Dieu, Seigneur, c’est assez clair : oui, l’argent est « trompeur » ou encore « malhonnête ». Il est trompeur, parce qu’avec lui tout se calcule, tout se pèse, tout s’évalue. Il se veut étalon universel de ce qui vaut. Pas de « valeur », même symbolique, même morale, sans la notion d’évaluation, de mesure, et d’une instance qui décide de ce qui vaut et de ce qui ne vaut rien, mais laquelle ? Quant à ceux qui parlent trop souvent de « valeurs », n’est-ce pas parce qu’ils se mettent en place d’évaluateur, de Dieu ? Au contraire, ton amour n’a rien à voir avec tout cela. Il est incalculable, inaliénable, il ne se mesure pas, ne se pèse pas, ne se mérite pas. Tu aimes les vauriens, la gratuité, le temps perdu ou gagné à refaire le monde avec de bons amis. Tu aimes la légèreté, la poésie, la douce caresse du vieillard sur la main de sa vieillarde chérie. Notre intendant roublard a peut-être compris quelque chose de très important. S’il « gaspille » les biens du maître, au moins, il n’est pas avare. Il sait que l’argent passe, quand l’amitié demeure. S’il tombe par son inconstance, il en profite pour libérer du joug de plus pauvres que lui. Par intérêt, parce qu’il espère taquiner le goujon avec de bons amis sur ses vieux jours ? Peut-être. Par altruisme ? Peut-être aussi. Qui peut en juger, sinon toi, l’unique maître qui n’as jamais pesé tes dons ?

Anne Lécu, o.p.

Anne Lécu, dominicaine, est docteur en philosophie et en médecine. Elle exerce en milieu carcéral. / Signe dans la Bible, Paris, Cerf, 2015, p. 119.


Dimanche 11 septembre 2022

« Réveille-toi, toi qui dors ; relève-toi d’entre les morts » (Ep 5,14)

« J’irai trouver mon père, et je lui dirai : ‘Père, j’ai péché contre le ciel et contre toi.’’ » Tel est notre premier aveu, au Créateur, au maître de la miséricorde, au juge de la faute. Bien qu’il connaisse tout, Dieu attend l’expression de notre aveu ; car « la confession des lèvres obtient le salut » (Rm 10,10). (…) Voilà ce que se disait le fils cadet ; mais ce n’est pas assez de parler, si tu ne viens pas au Père. Où le chercher, où le trouver ? « Il se leva. » Lève-toi d’abord, toi qui jusqu’ici étais assis et endormi. Voilà ce que dit l’apôtre Paul : « Debout, toi qui dors, lève-toi d’entre les morts » (Ep 5,14). (…) Debout donc, cours à l’Église : là est le Père, là est le Fils, là est l’Esprit Saint. Celui qui t’entend parler dans le secret de ton âme vient à ta rencontre ; et quand tu es encore loin, il te voit et il accourt. Il voit dans ton cœur ; il accourt, pour que personne ne te retarde ; il t’embrasse aussi. (…) Il se jette à ton cou pour te relever, toi qui gisais chargé de péchés, tourné vers la terre ; il te retourne vers le ciel pour que tu puisses y chercher ton Créateur. Le Christ se jette à ton cou, pour dégager ta nuque du joug de l’esclavage et y suspendre son joug de douceur. (…) Il se jette à ton cou, lorsqu’il dit : « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et je vous réconforterai ; prenez sur vous mon joug » (Mt 11,28). Telle est la manière dont il t’étreint, si tu te convertis. Et il fait apporter une robe, un anneau, des chaussures. La robe est le vêtement de la sagesse (…), l’habillement spirituel et le vêtement des noces. L’anneau est-il autre chose que le sceau d’une foi sincère et l’empreinte de la vérité ? Quant aux chaussures, c’est la prédication de la Bonne Nouvelle.

Saint Ambroise (v. 340-397)

évêque de Milan et docteur de l’Église

Commentaire de l’évangile de Luc, VII, 224s ; SC 52 (Traité sur l’Évangile de S. Luc, t. II Livres VII-X; trad. G. Tissot; Éd. du Cerf 1958; p. 93s rev.)

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Les paraboles de l’espérance

Dans les siècles des siècles il y aura pour ces trois paraboles une place secrète dans le cœur. Et toutes les trois elles sont les paraboles de l’espérance. Ensemble. Également jeunes, également chères. Entre elles. Sœurs entre elles comme trois enfants toutes jeunes. Également chères, également secrètes.  Secrètement aimées. Également aimées.

Mais entre toutes ; entre toutes les trois voici la troisième parabole qui s’avance. Et celle-là, mon enfant, cette troisième parabole de l’espérance,

Elle a touché dans le cœur de l’homme un point unique, un point secret, un point mystérieux. (Elle a touché au cœur.) Un point inaccessible aux autres. On ne sait quel point comme plus intérieur et plus profond. Des hommes innombrables, depuis qu’elle sert, des chrétiens innombrables ont pleuré sur elle.  (À moins d’avoir un cœur de pierre.) Ont pleuré par elle. Dans les siècles des hommes pleureront. Rien que d’y penser, rien que de la voir qui pourrait, qui saurait retenir ses larmes.

C’est la parole de Jésus qui a porté le plus loin, mon enfant. C’est celle qui a eu la plus haute fortune temporelle. Éternelle. Elle a éveillé dans le cœur on ne sait quel point de répondance unique. Aussi elle a eu une fortune unique. Elle est célèbre même chez les impies. Elle y a trouvé, là même, un point d’entrée. Seule peut-être elle est restée plantée au cœur de l’impie comme un clou de tendresse.

Charles Péguy

Retourné au christianisme de son enfance en 1909, Charles Péguy est tombé dans la Marne en septembre 1914, aux premiers jours de la guerre. Il est l’un des plus grands écrivains français du xxe siècle. / Le Porche du mystère de la deuxième vertu, Paris, Gallimard, 1916, p. 390-392.


Auteur :secretariat

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